Femmes et médias : L’Apartheid linguistique Imprimer

altIl a fallu une campagne plaidoyer pour la participation politique de la femme en Mauritanie, pour qu’on se rende compte de la véritable dimension du combat que les acteurs impliqués sur le terrain devront affronter. Car, la lutte transcende le physique et le temporel pour englober un héritage historique surdimensionné, où les pesanteurs socioculturelles se corsent de dogmatismes religieux.

Il suffit de considérer que la civilisation occidentale actuelle, moins conservatrice et plus féministe que la nôtre, trouve encore des difficultés à se débarrasser de clichés légués par des siècles de machisme. En l’absence d’une influence ecclésiastique de moins en moins prégnante de l’Eglise, les médias et les leaders d’opinion constituent aujourd’hui les moyens de pression et de propagande décisifs pour forger les opinions. Mais, cette mission de plaidoyer menée par les médias en Occident, continuent à se heurter à des réflexes qui en définitive desservent les femmes plus qu’elles ne les aident à s’émanciper.

Que dire alors d’une presse mauritanienne, que l’on tente aujourd’hui de transformer en fer de lance de la libération politique de la femme, dans un contexte social fortement masculinisé. Certes, la volonté de participer à un véritable essor de la femme et à son implication dans tous les compartiments de la vie est réelle au sein d’une grande majorité de la population. Cependant, le voudraient-ils, les journalistes continueront toujours à être les vecteurs d’une schématisation sociale qui altère profondément l’image de la femme, et cela à travers un « apartheid linguistique » qui entrave le processus de leur émancipation.
En fait, les médias continueront encore longtemps, à être perçus comme des prescripteurs de mythes. Les journaux, la radio et la télévision véhiculent encore un certain cliché de la femme qui montre à tel point elle est écartée du pouvoir dans toutes les sphères de l’espace public. A l’heure où les femmes essaient d’agir et d’exister, elles se heurtent à des obstacles, dont le premier est sans nul doute, l’image stéréotypée qu’en font les mass médias et les journaux. Elles deviennent de ce fait victimes d’un langage journalistique qui les schématise. Dans la littérature française, elles sont identifiée à la Muse, la Madone, l’Egérie, la Mère ou la Passionaria, comme le relève judicieusement l’excellent ouvrage de Marie-Joseph Bertini de l’Université de Nice, qui souligne que ces « figures ont pour but de maintenir vivante, dans la langue, la mémoire de l’incapacité fondatrice des femmes » et que le recours obsessionnel à la Passionaria révèle un impensé des médias à partir duquel se propage « une morale médiatique ». Réduite en « sexe faible », la femme est ainsi dépouillée de ses attributs et qualités pour se voir ramenée à une fonction reproductrice et maternante. Elle est au mieux, soit une Leïla, ramenée ainsi à la dimension d’uncœur qui ne sait raisonner qu’en termes passionnels. Ainsi, dans le subconscient collectifmauritanien, la femme ne peut se positionner ou être réfléchie qu’en référence à un système de normes masculines qui incarneraient l’ordre du monde.

Elle est toujours une sœur, une épouse ou une mère, mais jamais une entité libre ayant sa dimension propre. En tant que femme-passerelle, elle s’abolit comme fin et n’exerce son pouvoir que dans la non-visibilité. Tout au plus, peut-elle être inspiratrice ou inspiration pour le créateur, mais en même temps étrangère à la création. Sa fonction reproductrice et nourricière, la confine dans des devoirs familiaux, qui la maintiennent hors des grands circuits de décision. Car, au contraire de l’homme qui est perçue raison, la femme est considérée comme passion ou compassion, d’où un champ d’actions toujours renvoyé à la sphère privée. Il s’agit aujourd’hui, comme le disait Socrate, de préparer la société toute entière à une Maïeutique, pour pondre un nouveau rapport homme-femme, où la primauté sera au droit. Le défi est de parvenir à réorienter le discours de la presse pour qu’elle puisse dépasser ce déterminisme inféodé à la moralemédiatique et qui semble comparable à la terrible phrase de Freud « l’anatomie, c’est le destin ». Cependant, à la faveur des changements socioculturels nés de l’urbanisation et des contraintes économiques nouvelles, ainsi qu’à la mondialisation, sont apparues des femmes battantes, qui de l’action, ne sont censées connaître que le versant sommaire de la lutte. C’est pourquoi, trouve-t-on d’ailleurs, que l’expression « femmes en lutte » serait un pléonasme, car la lutte serait incluse dans le féminin, tant que celui-ci sera le produit d’une subordination.

Dans ce contexte, il serait tout aussi indiqué de se méfier de cette notion de « Dame de fer », qui suggère que les femmes sont de bien plus redoutable gouvernants que les hommes. Par delà cet ultime affront de la langue au genre féminin, se cache une histoire, des luttes, des bouleversements, dont la parité n’aura été qu’un épisode ponctuel.

JOB.

source:http://lauthentic.info

Mercredi, 11 Septembre 2013 16:07