Cette page que je m’apprête à publier n’est ni un pamphlet, ni un cri de cœur. Elle sonne comme un rappel des tristes réalités vécues par les populations, au quotidien, dans l’indifférence de ceux qui sont censés les servir et qui corsent plutôt leur précarité déjà bien réelle. En écrivant ces lignes, je ne suis mû par aucun ressentiment ; au contraire, je ne suis guidé que par ma seule lucidité, phare de ma retenue alors que tout m’invitait à disjoncter, à perdre les pédales devant les affres de ces journées catastrophiques et révélatrices que j’ai vécues et qui me contraignent à prendre la plume, argument dérisoire mais seul médium entre mes mains pour sonner l’alerte, pour prévenir et pour inviter à davantage de labeur dans un domaine vital comme la santé. Voilà l’histoire que je vais vous narrer, voilà mes impressions sur ce pays qui édifie des immeubles, des autoroutes à grande dimension alors que la santé de sa population est bradée, précarisée par une chaîne d’attitudes, en amont et en aval, frisant l’irresponsabilité.
Nous sommes à Mbagne, une capitale de département comme d’autres. Revenant de la mosquée, après ma première prière matinale, je fus intrigué par un attroupement de matineux dans notre concession, juste vers l’aile où réside ma mère. Une fois à l’intérieur du bâtiment, je la découvre, couchée sur le lit et dans un état de santé lamentable.
Quelques appels téléphoniques m’instruisent sur l’absence du médecin et de l’infirmière d’état en séminaire à Nouakchott. Je dus me rabattre sur Monsieur Diallo, mon cousin germain gérant la pharmacie locale qui vint illico presto répondre à mon appel de détresse. Son observation de la malade révèle des problèmes de tension artérielle et il nous conseilla, avec son humilité coutumière, de diriger la patiente vers l’hôpital de Kaédi. Premier couac de ma journée agitée : la seule ambulance disponible basée au centre de santé de Mbagne est immobilisée, en panne depuis trois mois, dans une indifférence générale.
Nous nous rabattons sur un véhicule personnel vite aménagé et nous prîmes la direction de l’hôpital de la capitale du Gorgol. Sur les lieux, nous fûmes assistés par mon ami Diop Lamine Zakaria de Mbagne, qui officie dans la structure sanitaire ès qualité de surveillant général. Avec une célérité incroyable, il joignit tous les professionnels du service et, très vite, ma mère fut prise correctement en charge. Le scanner déchiffré indiqua l’urgence d’un traitement de spécialiste disponible seulement à Nouakchott. L’attente dans ce qui tenait lieu de salle d’urgence fut éprouvante. Le décor de la pièce emballait : quatre lits pourvus de matelas crasseux et sans draps et des climatiseurs à l’arrêt depuis des lustres donnant l’illusion d’un luxe inexistant.
Parti négocier une ambulance, je découvre, ahuri, que ma mère devrait la partager avec un autre patient en cours d’évacuation. Le véhicule n’est pourtant équipé que d’un seul lit. Devant mon inquiétude à deux doigts de se muer en révolte, on me conseilla, en bon mauritanien musulman, de m’en remettre à Dieu et on m’assura que nous bénéficierons tout le long de notre trajet d’une climatisation conséquente.
Une fois la facture de 40.000 UM anciennes réglée et le véhicule pourvu en carburant, nous nous ébranlâmes vers la capitale, le tacot peu chargé : outre ma fille et moi, l’autre patient, un haratine octogénaire, voyageait en compagnie de sa fille et deux autres de ses enfants. Tout compte fait, cinq accompagnants, deux malades et un infirmier de route voyageaient dans le confort extrême dans une cabine où l’étroitesse rivalisait avec la promiscuité. Cerise sur le succulent gâteau : le conducteur de l’ambulance nous imposa une fillette, recommandée par un membre du personnel de l’hôpital, qui partait en vacances à Nouakchott. Dans l’atmosphère surchauffée, je demandai au conducteur de faire fonctionner la climatisation et il me révéla que celle-ci ne lochait plus les corps des malades depuis belle lurette. En bon mauritanien, il me conseilla de m’en remettre au traditionnel éventail pour affronter une température taquinant les 36’. La mort dans l’âme, je dus accepter ce voyage pénible, éprouvant pour les nerfs, avec deux malades couchés à même le sol.
Après quelques kilomètres, à Bababé, le véhicule tomba en panne et une trentaine de minutes furent nécessaires pour le remettre d’aplomb, pour le guérir de ses problèmes d’injecteur nous obligeant, pour le reste du trajet, à rouler à une vitesse de soixante kilomètres à l’heure.
Comprenant l’impasse, je faussai la route à mes compagnons d’infortune en dénichant une voiture climatisée. En vérité, cette solution m’ouvrit une nouvelle difficulté car nous devrions poursuivre notre route sans l’infirmier accompagnant. Comme si le sort se complaisait à nous titiller, la perfusion irrigant le corps de la patiente céda à quelques encablures de Boutilimit occasionnant une bénigne hémorragie. Notre premier moyen de transport venait à peine de franchir le carrefour de Boghé et ne pouvait nous être d’aucun secours. Il nous fallait donc joindre la localité de Boutilimit où des infirmiers règlent très vite le problème de la perfusion. Avant de quitter la structure sanitaire du bled de Moctar ould Daddah, j’apprends qu’elle dispose de sept ambulances opérationnelles. Curieuse gestion d’un patrimoine censé servir équitablement tous les citoyens ! La seule localité de Boutilimit était mieux pourvue que toute la région du Gorgol avec ses départements. Notre Mauritanie souffre de cette endémie maintenant encore quelques nationaux et certaines régions ciblées dans l’extrême indigence. Ainsi, deux catégories de citoyens sont créées : alors que la première tire profit des fruits de notre pseudo-croissance, la seconde, laissée volontairement en rade, meurt à petit feu.
A dix huit heures, nous entrâmes dans l’Hôpital national de Nouakchott. Encore une dizaine de minutes pour décrocher un lit afin d’extirper la patiente de l’ambulance. Nous dûmes attendre encore trente minutes pour voir arriver le médecin de garde. Le scanner de Kaédi n’ayant pas été interprété par le médecin, il demanda aux infirmiers de convoyer la malade vers la grande salle d’attente et sur le lieu nous apprenons que le neurologue, passé l’après-midi, ne reviendrait que le lendemain.
Vu l’état de la patiente, nous prîmes la décision de la diriger vers l’hôpital KISI du docteur Tandian, une structure sanitaire en train de rendre d’inestimables services aux malades grâce à son personnel compétent et dévoué. Nous fûmes pris en charge immédiatement et depuis, le sort de ma respectée mère s’est drastiquement amélioré.
Cette expérience montre, à plus d’un titre, que le secteur de la santé est valétudinaire en Mauritanie. Une fin de vie guette au quotidien les citoyens malades. Par le truchement de politiques continues puant le racisme et l’irresponsabilité, la santé publique est en train de donner une véritable image du pays, un gâchis dans cette zone ouest-africaine au regard de sa population peu nombreuse et des immenses ressources que Dame nature a déposées entre ses mains. La Mauritanie aurait pu être un eldorado mais une discrimination favorisant les régions du Nord a creusé le fossé entre ses composantes se regardant en chiens de faïence. Passer en revue les autres secteurs d’activité permet de tirer le même enseignement : notre pays se désagrège du fait de la démence de ses élites qui n’ont foi qu’en l’argent, qu’aux combines servant de dilatoire pour détourner les mauritaniens de leurs problèmes réels.
En prenant cet exemple, nous visons à attirer l’attention de nos compatriotes sur le mal corrosif qui mine le corps de notre pays en retard dans tous les domaines. Le mal est encore plus perceptible dans les régions à forte dominance négro-africaine où les politiques menées cultivent l’ostracisme, le repli identitaire et son corollaire l’obsession pour la libération.
Signé Cherif Ba de M’Bagne dans le Sud de la Mauritanie