Les visites d’Aziz ou l’ombre de Taya

ven, 04/24/2015 - 22:48

L’histoire est un éternel recommencement. Il est plus facile de l’écrire que de la marquer dignement et glorieusement. Tous les Mauritaniens se souviennent encore que les dernières années du règne de Maouiya Ould Sid’Ahmed Ould Taya étaient marquées par des visites tous azimuts. Trop pompeuses, pour une démocratie digne de ce nom. Et surtout, extrêmement coûteuses pour le pays. Mais sous Taya, les caisses de l’Etat ne tarissaient jamais. Du Ministre au dernier cadre du parti d’Etat, chacun pouvait justifier une facture, sortie de nulle part, pour « brouter » de l’argent public. Sauf que ceux qui ont connu Taya sont unanimes pour dire qu’il avait considérablement changé au crépuscule de son règne.

Des salons aux couloirs de l’état major militaire, la légende populaire raconte que, avant de bercer dans le culte du tribalisme, l’homme était un solitaire. Isolé, têtu. Il n’était que peu familier de la culture maure et de ses rouages. Celle-là même qu’il découvrira lorsque les ténors de sa tribu l’inviteront sous la khaima, pour lui relater les gloires des Smassides. Ils lui souffleront au creux de l’oreille qu’un marabout qui manie les armes ne peut être qu’un signe du ciel. Ainsi, il déduira des conciliabules qu’à la maitrise de l’art de la guerre, il faudra ajouter celle des calculs politiques.

Son premier acte fut un retour aux sources pour se réapproprier les codes culturels, rompre avec De Vigny, divorcer avec l’Esprit des lois de Montesquieu, et épouser « l’individualisme tribal » beidhane. Machiavélique, Taya savait bien que « l’influence d’un homme de pouvoir dépend de l’appui d’une clientèle ». Il s’agissait d’apprendre à gouverner avec les guerriers en limitant le terrain, à convaincre sans avoir raison, à persuader que seule son opinion compte, à dissimuler les plus importantes rentes publiques au détriment de l’intérêt général, à décimer lorsque l’ennemi veut détruire son système.  Tout cela, Taya l’a fait afin de conserver le plus longtemps possible son pouvoir.

Pendant vingt ans, il mena la danse. Les officiers de l’armée et la classe politique l’ont suivi en maintenant la même cadence. Ainsi naquirent nos malheurs : le tribalisme, le régionalisme, l’opportunisme et le clientélisme. Tout le monde était le fils de quelqu’un. L’être ne suffisait point, il fallait le justifier. Maure, Peul, Wolof, Hartani ou Soninké, chacun avait sa tribu. Maouiya nommait ses ministres selon les humeurs des maitres tapis dans l’ombre d’une khaima ou d’un hangar. Et il les démettait lorsqu’un notable tribal ne faisait pas bonne moisson.

Voilà qu’aujourd’hui Mohamed Ould Abdel Aziz emprunte les mêmes sillages. Bien sûr, l’homme ne pouvait que suivre le chemin frayé par son mentor. Depuis deux ans, il arpente le pays accompagné de ses acolytes composés - comme à l’époque de Taya - de ses ministres, des officiers, des « gens du parti UPRDS », quelquefois des élus de l’opposition, ignorés et infantilisés ça et là par les responsables du protocole présidentiel. Quand une région est désignée par le Rais, tout le monde doit acter sa présence. Et chacun se manifeste, qui par une banderole sur laquelle est mentionnée la tribu, le village ou le regroupement qu’il représente, qui par une mise à disposition de moyens financiers et matériels.

Aziz et ses collaborateurs ne daignent même pas voir en face la pauvreté dans laquelle les citoyens croupissent. Après la claque des employés de la SNIM, à Zoueratt, il a été accueilli par des « Zéro Aziz », mais, il l’esquiva par son air hautain habituel. Dans les Hodhs, il a découvert des jerricanes vides, alignés en signe de protestation contre la soif qui décime des cheptels et met la vie des citoyens en danger. Partout où il passait, les pauvres qu’il prétend défendre lui ont signifié que la famine risque de provoquer des ravages humains. Il a écouté des citoyens de la Mauritanie profonde confirmer que les boutiques « Emel » profitent à d’autres qu’à eux.  Il a vu des écoles en état de décrépitude et des élèves assis par terre, alors que l’année 2015 a été décrétée année de l’enseignement. La réalité n’a pas de bouche pour mentir comme un ministre. Sinon, que dire des centres hospitaliers qui ne peuvent même pas soigner des fractures de tibia ? Le cas du ministre et porte-parole du gouvernement Izidbih Ould Mohamed Mahmoud, évacué de Guerou après sa chute, suffit pour justifier l’état de déliquescence de nos hôpitaux et centres de santé régionaux.  

En somme, les agissements et manières d’Aziz prouvent que l’ombre de Taya plane encore en Mauritanie. Taya n’est pas encore mort, mais son âme s’est réincarnée. Hier, Mohamed Ould Abdel Aziz était celui qui débarrassait les mains encombrantes accrochées à Taya. Aujourd’hui, il refuse de les serrer. Jadis, Mohamed Ould Abdel Aziz avait le rôle d’aligner les rangs des pauvres citoyens, sujets des notables. Aujourd’hui, qu’il pleuve, qu’il vente, ou sous une chaleur de plomb, on s’aligne des heures durant pour lui. Il y a quelques années seulement, le colonel courrait derrière la voiture blindée du chef de l’Etat… Demain, à qui le tour?

Le premier est déjà tombé dans la plus grise des disgrâces : la déchéance et l’exil. Pour le second, il faut attendre la réalisation de l’invocation de l’opprimé. Allez savoir ce que Dieu confia un jour à son serviteur David.

Bâ Sileye

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