Compte rendu de lecture à propos de l’article de Khalid ZEKRI

lun, 11/10/2014 - 15:19

« Ecrivains issus de l’immigration maghrébine » ou les « écrivains beurs ? »[1]       

Dans cet article,  Khalid soulève le problème fort complexe lié au statut  des écrivains maghrébins issus de l’immigration, tiraillés entre les deux cultures française et maghrébine.

Dans son introduction, il signale déjà la difficulté terminologique quand il s’agit de savoir dans quel camp faudrait-il classer ces auteurs. Entre « écrivains issus de l’immigration maghrébine », « écrivains beurs » et « écrivains de la deuxième génération »,  Khalid choisit volontiers la première  désignation qui lui semble mieux appropriée à la situation de ces jeunes  auteurs. Son article se divise en trois parties :

Les conditions d’émergence

       Khalid  remonte l’émergence de cette littérature «maghrébine» issue de l’immigration au lendemain de la Seconde Guerre mondiale quand la France avait ressenti le besoin  de recourir aux  indigènes de  ses colonies de l’Afrique noire et du Maghreb  pour  sa reconstruction qui nécessitait une main-d’œuvre abondante et à bon marché. C’est ainsi que «des couples maghrébins  se sont installés autour des villes industrielles  et des régions françaises ; et des enfants sont nés de ces couples.» Cet appel de la Métropole est donc à l’origine des déplacements des populations africaines,  particulièrement maghrébine en France où ils pensaient trouver un «Eldorado». Les enfants nés des parents d’origine maghrébine allaient plus tard s’investir dans la littérature pour prendre en charge leur destinée et exprimer le déchirement identitaire dont ils sont l’objet.

Le thème de prédilection

        Dans le présent article, l’auteur date la prise de parole de ces écrivains issus de l’immigration maghrébine au début des années 1980. Ce besoin de s’affirmer est, selon lui, à l’origine de la naissance d’un type de roman couramment appelé « roman beur » auquel Michel Laronde, cité dans l’article donne la définition suivante : «[le roman beur est] tout roman qui parle de la situation du jeune maghrébin dans la société française.» Il apparaît, à la lumière de cette citation,  que toute œuvre qui a pour cadre l’immigration maghrébine en France, même si elle n’est pas d’un auteur  maghrébin, pourrait être classée dans la rubrique des « romans beurs». Cependant,  Khalid ne partage pas une telle affirmation, car pour lui,  ne peut être considéré comme roman «beur» qu’un texte dont l’auteur est soit né en France et d’un parent d’origine maghrébine, soit, venu très jeune en France avec ses parents en quête d’une meilleure condition de vie. Cette dernière  semble  la mieux correspondre au statut de ces jeunes écrivains.

     Par ailleurs, le thème central de prédilection de ces créateurs est surtout axé sur l’éclatement identitaire dont ils  font les frais dans  la société française où ils sont comme partagés entre « l’école républicaine », qui leur transmet les valeurs de la République,  et les traditions de leurs parents. Finalement, ils se trouvent comme suspendus entre les deux sans avoir parfois la possibilité de se définir par rapport à l’une ou à l’autre de ces cultures, comme le laisse entendre  Khalid, dans le présent article, en ces termes : « Ces jeunes se sentent rejetés et par la France et par le pays d’origine de leurs parents. » En outre, cette situation de rejet réciproque n’est pas uniquement le propre de ces jeunes maghrébins issus de l’immigration maghrébine, mais aussi  celui des enfants issus de l’immigration africaine comme l’a souligné justement Madjiguène Cissé dans Parole de sans- papiers.

       La lecture de cet article nous a permis de cerner la véritable problématique de «l’être-au- monde» de toutes les couches issues de l’immigration, qu’elles  soient réelles ou  imaginaires. 

La problématique de  l’identité est le thème central des textes de cette génération  comme l’a souligné l’auteur de cet article en ces termes : « Les auteurs issus de l’immigration [maghrébine] inscrivent […] un éclatement  identitaire dans leurs textes. »

 

         Ils sont confrontés à une sorte d’impasse dans laquelle ils se cherchent continuellement. Cette problématique de la recherche permanente et désespérée s’illustre  clairement dans cette affirmation de Tadjer Akli, cité par l’auteur de l’article : «Ainsi donc un peuple nouveau est apparu sur la terre en les années 1980 de notre ère. Ce peuple porte le  nom de son chromosome «500000 » ANI ; 500000  correspond au nombre de cas dépistés et recensés et ANI signifiant Arabe Non Identifié ». Il ressort de cette affirmation l’interprétation suivante : Le peuple identifié et classé correspondrait aux parents de ces  jeunes écrivains issus de l’immigration, tandis que celui non identifié renverrait à cette nouvelle génération à la recherche d’elle-même. Nous comprenons dès lors  que ces auteurs aient accentué leurs œuvres principalement sur la question de l’identité. La récurrence de cette question est aussi constatée dans les romans des écrivains noirs africains francophones.

          Après avoir montré que la thématique obsessionnelle de ces auteurs est bien celle qui a trait à la quête identitaire, l’auteur de l’article passe en revue les conditions de réception de leurs ouvrages dans le paysage littéraire français.

Les conditions de réception

         Khalid Zekri, dans son analyse, avance un certain nombre de conditions d’après lesquelles les œuvres de ces créateurs sont acceptées dans les champs littéraires de l’Hexagone, en particulier, et de l’Europe, en général. Parmi ces conditions, il mentionne celle liée au statut des œuvres : Il faut qu’elles soient  classées dans le registre des textes à caractère identitaire ou revendicatif. L’auteur de l’article cite, à juste titre, l’exemple de la Belgique où «deux maisons d’édition publient des auteurs issus de l’immigration en situant leurs textes dans le paradigme des témoignages. » Or, dans ce contexte, la réception de ces œuvres semble poser une énorme difficulté.  Khalid parle de « réception négociée.» Tout ouvrage de ces auteurs qui ne s’inscrit pas dans les sillages des critères établis par les maisons d’édition, est de prime à bord écarté. Par ailleurs, même les textes qui arrivent à être publiés ne bénéficient pas d’une large audience auprès du   public français ou européen.

        En outre, nous dit Khalid, les rares lieux dans lesquels sont enseignés les textes de ces écrivains issus de l’immigration, se trouve  être les banlieues où il y a une forte concentration des enfants d’immigrés. A cela, l’auteur  ajoute que les institutions scolaires et universitaires ne fournissent pas suffisamment d’effort pour la reconnaissance de la valeur de ces textes. De même, l’enseignement de cette littérature dans les facultés est généralement confié à  des enseignants spécialisés en littérature francophone. Il faut, à l’évidence, reconnaître que cette littérature maghrébine issue de l’immigration n’est pas la seule victime de cette «réception négociée» dans l’espace littéraire hexagonal dont parle  Zekri. En effet, sa sœur de l’Afrique noire, elle aussi, en fait les frais.  

        En fin, cet article est intéressant à tous les égards, en ce sens qu’il permet de mieux comprendre les conditions d’émergence de cette littérature, lesquelles conditions ressemblent fortement d’ailleurs à celles dans lesquelles est née  sa compagne de l’Afrique noire.  L’analyse de  Zekri laisse entrevoir également, du point de vue thématique, que même s’il y a une différence géographique, ces deux littératures ont un point convergeant, qu’est celui de la recherche identitaire, comme dans le passé, avant les indépendances, quand il s’agissait de lutter contre le système colonial.

 

SOUMARE Zakaria

Enseignant chercheur

 

[1]Source : Notre Librairie n 155- 56 juillet décembre 2004