Pour une coopération plus éclairée (2eme partie) : par SAMBA THIAM président des FPC.

lun, 08/01/2016 - 00:47

’’ Annihiler la force numérique et la force de travail que représentent les Noirs pour les transformer en simples instruments, sans qu’aucune possibilité ne  leur soit laissée  de sortir de cette situation ’’. N  Mandela  

Rien ne distingue ce but ultime de l’idéologie afrikaner, ici décrit, des objectifs politiques de la plupart des  régimes  mauritaniens,  en particulier celui du Président Ould Abdel Aziz ! 

Voilà qu’après la main mise sur tous les leviers essentiels, le Système va boucler la boucle, à travers l’action du Président ould Abdel Aziz qui se tourne maintenant vers le dernier carré, jusque là préservé : les terres de la vallée du fleuve. Cela semble se dessiner à  travers un comité interministériel, à pied d’œuvre depuis juin 2016, ouvert aux bailleurs de fonds,  naturellement, mais qui restera sourd aux complaintes  légitimes des populations concernées, comme toujours!   

 

Pour une coopération plus éclairée…  

Ce qu’il faut déplorer dans cette situation c’est qu’il se trouve, hélas, des partenaires internationaux qui, consciemment ou inconsciemment , accompagnent cette politique ; en effet, certaines institutions internationales, certains partenaires étrangers participent de cette dangereuse entreprise de spoliation, par leur apport multiforme dans ce secteur ; a travers  leurs programmes d’appui, leurs financements …Or sans crever l’abcès, c’est-à-dire sans œuvrer au rétablissement  préalable de la vérité  sur l’occupation des terres-qui possède quoi-, sans affirmation claire du caractère intangible du droit de propriété, sans apaisement des rancœurs  et des frustrations accumulées toutes ces années à cause des injustices nombreuses , il ne serait ni judicieux, ni raisonnable de s’engager dans ce secteur . Il serait illusoire de vouloir exploiter de manière efficiente et productive ce secteur agricole durablement ; illusoire d’espérer en tirer des bénéfices probants ; plutôt, on risquerait de créer ou précipiter les conditions d’instabilité explosive, sans plus. A titre d’illustration, peut–on légitimement envisager un projet d’exploitation ou d’extension des manguiers des femmes de Thiembene  sans risques ? Serait-il moralement juste de s’approprier le fruit de leur labeur pendant des années, de transformer de facto un cas de flagrante injustice en fait accompli, définitivement accompli ? 

Enfin il ne faut pas que la raison de sécurité l’emporte sur celle (des risques) duchaos social éminemment plus dangereux… 

Attention toutefois, que l’on nous entende bien : la vallée du fleuve doit voir son potentiel agricole mis en valeur, exploité au bénéfice de tout le peuple mauritanien. Seulement, ce développement devra tenir compte de certains principes, reposer sur la concertation avec les populations concernées  à associer, respecter l’espace vital des villages et certains droits séculiers (accès à la terre pour les paysans, accès au fleuve pour les pécheurs, couloirs de parcours et d’accès à l’eau pour les éleveurs). Ainsi et ainsi seulement, on s’acheminerait vers un développement réfléchi, apaisé,  qui profiterait à tous. Voilà pourquoi nous pensons que tout plan d’exploitation de cet espace devrait se décliner en paliers, ci-après : 

-La Zone du ‘’ Waalo’’- ou partie inondable- sera affectée aux populations locales que l’Etat accompagnera 

- Les investisseurs nationaux et sous–régionaux se verront attribuer le moyen Dierri -12km du fleuve, 

-Les Investisseurs internationaux (le grand capital ) occuperont le haut Dierri-20km du fleuve et au de-là-.  

Enfin s’il y a réforme foncière, elle devra être une, la plus équitable possible, applicable du Nord au Sud, d’Est en Ouest avec la même impartialité. 

D’ores et déjà nous ne pouvons que déconseiller fortement tout financement de projets agricoles de partenaires  dans la vallée du fleuve, avec le statu-quo actuel ; tout comme nous décourageons les appuis au secteur de la justice dans laquelle  Negro-africains et haratines ne se reconnaissent pas ; Ils n’y sont pas représentés, ne peuvent  s’y exprimer (N-africains), ni en attendre des verdicts impartiaux. Une justice enfin, où on ne donnait pas aux  juges honnêtes  de  dire le droit. A nos yeux l’appui visant à  ‘’ rendre cette justice plus forte,’’ comme  se le proposent certains partenaires au développement, mérite d’être questionné, car il ne serait pas de nature à favoriser la cohésion nationale, pour  accentuer et consacrer la marginalisation des Négro-mauritaniens.   

Pendant l’occupation algérienne Albert Camus eut à tenir ces propos sur la Justice française qui lui valurent bien des quolibets:‘’ entre votre Justice et ma mère je choisis ma mère’’, dit-il. C’était sa manière de dénoncer la justice française appliquée pendant la guerre d’Algérie, exigeant  une autre justice plus conforme  à  celle incarnée  par la rigueur et la droiture de sa vertueuse mère ! 

Citation qui ne saurait mieux traduire le ressenti actuel des Négro-africains à l’égard de la justice mauritanienne perçue comme une justice partisane au service d’une entité, une justice des riches et des puissants pourvoyeuses de cellules  ...Nous sommes des assiégés ! 

 

Nous sommes des assiégés, en survie !   

Dans le livre titré ‘’ la vallée du fleuve Sénégal ’’ de B Grousse et Sidy M Seck, Ed karthalla 1991, le mauritanien Ba Boubacar Moussa révèle -page 265- : ‘’ dans un rapport confidentiel, le ministre de l’intérieur écrit’’ . 

C’est on ne peut plus clair ! 

 La majorité des mauritaniens victimes des évènements Sénégalo-mauritaniens de 1989, expulsés du Sénégal se sont vus bloqués sur la ligne du fleuve, contraints et forcés de s’y installer  alors qu’ils avaient, pour la plupart, émis le désir de regagner leurs régions d’origine…Ils furent autorisés à occuper villages et champs de Négro-africains déportés, non encore restitués à ce jour, comme pour le carré de manguiers des braves dames de Thiembene … 

L’esprit du rapport confidentiel était en marche …  

La déportation des populations négro-africaines au Sénégal et au Mali s’inscrit dans le même sillage ; comme le refus obstiné de ramener les (12000) déportés mauritaniens au Mali, qui participe de la même logique ... 

On le voit, le rapport était en application…La descente vers le Sud n’a donc pas été que ‘’spontanée’’ ou sous la poussée de la sécheresse, contrairement à certaines affirmations ; elle fut inspirée, suscitée et même encouragée… pour des motifs obscurs. 

L’esprit de ce rapport-circulaire était en marche. IL est en marche, non plus localement, mais à l’échelle nationale  avec le Président Abdel Aziz ; au niveau des forces armées et de sécurité, de la Police,  de l’Administration, de la Justice, des Ecoles spéciales, des médias , à travers cet ’enrôlement biométrique aux commissions techniques mono ethniques  et ces conseils de ministres ; l’esprit de cette circulaire se poursuit encore et se reflète jusque dans l’organisation du sommet arabe récemment à Nouakchott où nous avons été tenus absents ; Arabité oblige, toutes les émissions en langues nationales pulaar , soninke , wolof ont été suspendues , le temps d’un sommet… Or l’Unité ne peut se fonder sur l’assentiment des peuples en présence, dans l’acceptance  et le respect réciproques. Dès lors qu’une des parties est perçue comme une gène, voire un boulet au pied  l’Unité n’est plus viable ! 

Le Président, son compère de l’état major et la dame de la CUN, par leur action conjuguée, tentent  de parachever au pas de course l’infâme  projet, amorcé en 1960, considérablement  aggravé  par Ould Taya dans les années 1980. Le Président veut développer ce pays, ce qui, en soi, n’est pas une mauvaise chose; ce qui est mauvais par contre est qu’il veuille le développer sans Nous,- nous Négro-africains et Haratines- chose inacceptable, encore une fois ! 

 Un pays, une Nation, un Etat viable ne sauraient se construire de cette façon là…En conséquence toute coopération dans ces conditions devient donc questionnable. 

Dans son allocution du 12 juillet 2016, l’ambassadeur des Etats-unis à Nouakchott, évoquant la question de l’esclavage, disait, je cite : «les histoires de nos deux pays ont de tristes similitudes. Comme la Mauritanie, nous luttons pour surmonter les séquelles de notre passé, et pour construire un meilleur pays pour tous les citoyens ». A cette différence qui échappait peut-être à son Excellence : si aux Usa l’esclavage a été vaincu c’est  parce qu'il y eut des consciences torturées, des intellectuels et des hommes de foi qui n’en pouvaient plus de transiger avec  leurs consciences, torturées ; ce  n’était pas le cas en Mauritanie où l’on fait  surtout semblant … En Mauritanie l’hypocrisie  et  le ‘’faire semblant’’ sont entrés dans les mœurs … 

 

Isselmou O Abdel kader  disait  au cours  d’une rencontre publique récente que 90% de l’économie de Kaédi était aux mains des familles maures ; Dire 90% de l’économie de toute la vallée du fleuve aurait été plus proche de la réalité ! « Si l’on ne peut vivre ensemble qu’au prix de l’oppression à l’égard d’une composante, c’est une position pas raisonnable et qui, surtout, n’est pas tenable » soutenait  Yehdih.

 

Il faut reprendre Aleg … 

S’il s’était agi de corriger le déséquilibre issu du legs colonial on aurait compris ! C’eût été légitime, parce que c’eût été faire justice; mais l’on s’attela, plutôt, à éliminer la composante négro-africaine des sphères de la vie publique, totalement! Evidence, hélas, que le Pouvoir en place et une bonne partie de l’élite arabo-berbère s’obstinaient à nier! Or il ne pouvait y avoir d’unité ou simplement de rencontre avec l’autre sans la reconnaissance de l’autre dans son altérité …     

Au vu de toutes ces données, appuyer ou financer donc le secteur agricole ou celui de la justice ou encore des forces armées et de sécurité  mono ethniques actuelles, sans créer au préalable  les conditions d’égalité, d’équité et de justice entre les composantes nationales dans ces secteurs, ne serait ni plus ni moins qu’aggraver cet état de siège. Ce serait  apporter une caution à notre exclusion, soutenir et légitimer la domination d’une composante nationale sur les autres. Nous sommes des assiégés en état de survie ! Voilà pourquoi l’appui à ces secteurs doit être questionné, encore une fois… 

 Il faut reprendre Aleg qui fut un raté ! Il faut rediscuter des conditions de coexistence, du vivre ensemble. Les partenaires et amis de la Mauritanie se doivent donc de faire preuve de claire voyance et davantage de vigilance et de prudence dans leur coopération avec l’Etat ou le régime mauritanien, buté, de nature éthniciste, aux tendances autocratiques, répressives et prédatrices …. 

Samba Thiam 

Président des Forces Progressistes du Changement FPC

Nouakchott, le 31 juillet 2016