STRATFOR : Le président mauritanien joue à un jeu risqué

mar, 10/18/2016 - 00:08

La firme Stratfor est une plate-forme de renseignement géopolitique qui est devenu en peu de temps leader mondial dans son secteur. Ses analyses intéressent les grandes multinationales, les entreprises, les gouvernements et leur permet de comprendre un environnement mondial de plus en plus chaotique. L’un de ses analystes décortique la situation actuelle de la Mauritanie.

Prévision

- Bien que la Constitution exige son départ en 2019, le président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz pourrait bientôt proposer une réforme qui lui permettrait de prolonger son mandat.

- S'il le fait, il risque d'inciter l'opposition à des troubles qui pourraient exacerber les profondes faiblesses structurelles de la Mauritanie. - La situation du pays dans le Sahel dément son importance dans les efforts de lutte contre le terrorisme régional, dans un sahel perturbé par l'instabilité politique prolongée.

- L’onde de choc pourrait se propager au-delà des frontières de la Mauritanie, déstabilisant aussi de faibles voisins sahéliens du pays.

Une analyse

Le dialogue national de la Mauritanie, qui se terminera le 18 octobre, avait pour but de réunir les membres de l'opposition et le parti au pouvoir pour discuter des réformes constitutionnelles. Plusieurs groupes, cependant, ont accusé le président Mohamed Ould Abdelaziz d'utiliser les pourparlers pour lancer un "coup d'Etat constitutionnel." Ils affirment que le président a l'intention de prolonger ou lever la limitation des mandats présidentiels.

Bien qu’il lui reste encore trois ans de son deuxième mandat, une telle décision controversée - devrait-il choisir de le faire ?- pourrait porter atteinte à la stabilité de la nation ouest-africaine et la région qui l'entoure.

Même dans le meilleur des cas, la Mauritanie est un pays faible. Situé sur la côte ouest de l'Afrique, avec une population de moins de 4 millions de personnes, dont la plupart vivent encore dans la pauvreté.

Les ressources sous-développées du pays, placent la Mauritanie une position marginale dans la politique régionale ceci remonte à bien avant la colonisation française qui a commencé au début du 20e siècle.

A l'époque, les stratèges français ont compris la position de la Mauritanie et l’ont considérée comme un "trait d'union" - un "trait d'union" littérale - entre les possessions de Paris au Maghreb (Maroc, Algérie et Tunisie) et ses possessions d'Afrique subsaharienne. Et à bien des égards, l'image de la Mauritanie n'a pas changé: Même aujourd'hui, elle est considérée comme un pays en marge aussi bien politiquement que géographiquement.

Néanmoins, la Mauritanie peut être un pays important de surveiller dans les années à venir. Son dialogue d’Octobre aurait pu donner au Président Aziz s’il n’avait cherché à pousser vers un certain nombre de réformes controversées.

Parmi les changements présumés la création d'une vice-présidence et l'abolition du Sénat, qui serait remplacé par les conseils régionaux élus. Cependant certains des partisans du président Aziz ont profité des discussions sur ces réformes proposées pour aborder la possibilité de modifier les limites et la durée des mandats pour lui permettre de rester au pouvoir indéfiniment.

Si leurs allégations sont vraies, les ambitions du président pourraient enflammer un conflit entre le parti au pouvoir et l'opposition dans un pays qui lutte pour surmonter son passé tumultueux.

La Constitution mauritanienne prévoit que, chaque président est autorisé à servir que deux mandats de cinq ans. Après avoir été le fer de lance d’un coup d'Etat en 2008, Abdelaziz a été élu à la présidence en 2009. Il a été réélu cinq ans plus tard pour un second mandat, qui se terminera en 2019.

Or depuis le début de l'année dernière, plusieurs personnalités au sein de son gouvernement ont déclaré publiquement qu'il mérite un autre mandat - bien que chaque fois qu’il a été interrogé, le président a soulevé des objections-. Au cours des dernières semaines, des rapports ont émergé de discrètes (et pas si discrètes) conversations se tiennent entre les membres du parti au pouvoir sur l'extension et/ou la levée des limites des mandats.

L'idée d'un président tirant les ficelles de ses partisans pour prolonger son séjour à la tête de l’Etat n’est pas unique à la Mauritanie. En fait, il s’alignerait sur une tendance moult fois observée à échelle du continent ces dernières années.

D’autres dirigeants africains refusent de céder le pouvoir en procédant à des modification de constitutions, dont beaucoup ont été écrites après la fin de la guerre froide, lorsque la poussée pour la démocratisation de l'Afrique a été forte, et que c’est devenu un moyen commun de préserver la position politique.

La Mauritanie, dont la constitution a été créée en 1991 avait elle aussi cédé aux pressions de Force tranquille en France qui a encouragé tous les pays africains à adopter une démocratie multipartite.

Bien sûr, certains dirigeants africains ont eu plus de succès dans la manipulation de la loi pour répondre à leurs besoins que d'autres. En République du Congo, le président Denis Sassou-Nguesso est passé en force, mais au Burkina Faso, le président Blaise Compaoré a été contraint de fuir en Côte-d'Ivoire après avoir essayé de faire sauter la limite des mandats.

D'autres encore ont vu que des résultats mitigés: le président sénégalais Abdoulaye Wade a réussi à briguer un troisième mandat controversé, pour inspirer une telle désapprobation populaire qu'il a perdu l'élection.

L'histoire de la Mauritanie jalonnée d'instabilité politique jouera un rôle important dans la décision de Ould Abdelaziz de viser l'opportunité de poursuivre son règne sur le pays. Depuis son indépendance de la France, le pays a connu 10 tentatives de coup d'Etat, dont deux avec Ould Abdelaziz lui-même jouant un rôle central.

Son rôle dans le renversement de deux gouvernements souligne le statut de Abdelaziz comme une figure décisive dans la politique mauritanienne, elle peut aussi à l’amener à croire qu'il est beaucoup plus fort que tout adversaire et capable de garder la main sur la plus haute fonction du pays. De plus, lui et son cercle intérieur peut se sentir obligé d'essayer de rester au pouvoir, de peur de devenir des cibles eux-mêmes plus tard, si les vents politiques tournaient dans les années à venir.

De toute façon, cela pourrait être de mauvais augure pour la Mauritanie, surtout si son économie continue à se dégrader si gravement. Ces facteurs pourraient stimuler l'agitation sociale et couper dans les financements que le gouvernement distribue directement ou indirectement à des tribus du pays, dont l'allégeance au gouvernement est davantage basée sur ristournes financières que la fierté nationale.

Signes de problème

Si Abdelaziz continuer à faire pression pour prolonger son séjour à la présidence, ses actions pourraient nuire à la sécurité de la Mauritanie - et, par extension, à celle la région environnante -.

Plusieurs groupes de militants islamistes opèrent dans le Sahel, et ils se sont montrés prêts à exploiter toutes les opportunités qui se présentent. Cependant l’effondrement politique en Mauritanie dépend de plusieurs facteurs.

D'une part, l'opposition politique du pays aurait besoin pour former un solide front uni contre les efforts de Abdelaziz pour étendre son mandat. Après tout, certains chefs d'Etat africains ont rencontré peu de résistance à leurs aspirations pour le temps supplémentaire dans le bureau, tandis que d'autres ont été contraints de quitter leurs sièges par des éclats de troubles sociaux.

Si le mécontentement à l'égard des visées de Abdelaziz se transforme en protestations généralisées ou violentes, il pourrait mettre en péril son emprise sur le pays.

Les groupes d'opposition auraient également besoin de puiser dans d'autres sources de mécontentement populaire pour créer une grande base assez importante pour arrêter la réforme de Abdelaziz. À l'heure actuelle, certaines factions se sont engagés dans le dialogue avec le parti au pouvoir, tandis que d'autres ont choisi de boycotter les pourparlers.

Si un mouvement plus large est lancée pour arrêter sa mesure - surtout si elle est soumise à un vote populaire comme Abdelaziz a promis - alors les rivaux du président auraient une chance de contrecarrer ses plans.

En cas d'échec, il est possible que des segments dissidents de l'armée pourraient chercher à évincer le président, bien que même avec l'histoire des coups d’Etat en Mauritanie, ce serait un scénario peu probable. Abdelaziz est populaire parmi les services militaires et de sécurité. Cela dit, sa décision de briguer un troisième mandat pourrait engendrer du ressentiment parmi eux, en particulier si l'économie continue à battre de l’aile grevant les fonds « redistribués » pour les calmer.

Le président peut encore choisir de partir et de jeter tout son poids derrière un successeur faible au cas ou il ne pourrait pas faire adopter par le législateur les reformes envisagées. Compte tenu de la proposition de Abdelaziz pour la création d'une vice-présidence, la possibilité de le faire pivoter à une commande en second et au pouvoir dans les coulisses ne peut pas être exclue.

Même ainsi, les chances que cela se produise sont assez faibles: Abdelaziz est arrivé au pouvoir en utilisant sa position en tant que conseiller de confiance du Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi pour l'évincer, après que la relation entre les deux hommes se soit détériorée. Abdelaziz ne sera pas prêt à faire la même erreur que son prédécesseur a faite.

Le canari dans la mine de charbon

La Mauritanie est canari de l'Afrique dans une mine de charbon. Il souffre d'une multitude de problèmes qui le rendent facile pour les groupes terroristes, y compris Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et filiales de l’État islamique. Le gouvernement de Nouakchott a des difficultés à faire valoir sa souveraineté sur ses vastes étendues de territoire, en particulier à l'intérieur, où il doit le plus souvent avoir recours à la négociation avec les tribus locales pour leur fidélité.

Ces régions éloignées sont aussi des centres pour les groupes terroristes qui utilisent les zones non gouvernées pour transporter des marchandises illégales et se cacher des forces antiterroristes françaises stationnées au Mali, au Burkina Faso, au Niger et au Tchad. Bien que les forces françaises et américaines à l'occasion de coopérent avec l'armée mauritanienne, l'attention internationale versée à l'État africain est assez minime - un fait qui l’a rendu encore plus attrayant pour les groupes terroristes du Sahel.

Bien que la Mauritanie même reste préservée des attaques terroristes, elle est plus que consciente de la menace que les groupes qui traversent ses frontières pourraient devenir. En fait, en mai, le gouvernement américain a publié plusieurs documents qu'il avait saisis lors du raid sur la cache d'Oussama Ben Laden à Abbottabad, au Pakistan. Un document, daté de 2010, aurait inclus un accord entre AQMI et le gouvernement mauritanien.

En échange de la promesse du groupe de ne pas exercer d'activités militantes dans le pays, Nouakchott a promis de donner un financement de lui, libérer un certain nombre de prisonniers d'Aqmi et de cesser toutes les attaques contre le groupe. (Il est difficile de savoir si l'accord n'a jamais été mis en pratique.) Ainsi, alors que les services de sécurité mauritaniens ont arrêté des militants islamistes présumés - et, récemment, au moins 20 prétendument liés à l'État islamique - la capacité et la volonté du pays pour lutter contre les forces extrémistes dans son les frontières sont loin d'être certaines.

La sécurité n’est pas le seul problème avec lequel Nouakchott est aux prises. La croissance du produit intérieur brut de la Mauritanie est en baisse depuis 2012, une chute sans aucun doute aggravée par la persistance de prix bas de minerai de fer, principale exportation du pays.

Compte tenu de la demande mondiale de minerai de fer devrait rester faible dans les années à venir, il semble y avoir peu de répit à l'horizon pour les caisses du pays. Pendant ce temps, la sécheresse demeure une menace inévitable qui, quand elle frappe, entraine des coûts sociaux importants.

Comme chacun de ces facteurs grève profondément dans les fonds du gouvernement, Nouakchott peut avoir de plus en plus de difficultés à maintenir le réseau de patronage complexe qui assure la loyauté entre les tribus et factions du pays.

Le jusqu’ici fragile gouvernement de la Mauritanie pourrait un jour se révéler le maillon faible dans les efforts internationaux visant à prévenir une menace majeure dans le Sahel. Pendant des années, Abdelaziz a vendu aux puissances étrangères sa compétence militaire comme une garantie et un barrage devant l'émergence de territoires non-droit en Afrique du Nord.

Mais la position ferme qu'il prend publiquement contre le terrorisme est peut être juste une façade destinée à cacher la structure politique fragile et ses efforts pour l'empêcher de s'effondrer.

La Mauritanie a beau être située sur la marge de sa région et du continent, mais c’est pourquoi elle est précisément importante. Et si l'instabilité éclate en Mauritanie, les conséquences ne pourront pas rester confinées à l'intérieur de ses frontières. Bien qu'il soit trop tôt pour dire si les ambitions du président vont bouleverser la stabilité de son pays, la chance qu'ils pourraient le faire ne devrait pas occultées.

Stephen Rakowski (STRATFOR)

(Traduction QDN)

SOURCE : mauiweb via cridem