Le dialogue pour les politiques tient-il compte du sort de la société ? |
Il faut donc s’attendre, comme le prévoit en préambule le texte comportant les points de convergence, à ce que cette première résolution prise par les participants au dialogue soit incluse dans la constitution de la République Islamique de Mauritanie de sorte que, en plus de la disposition déjà existante et selon laquelle « La République assure à tous les citoyens sans distinction d'origine, de race, de sexe ou de condition sociale, l'égalité devant la loi », on ait droit à « la reconnaissance de la diversité culturelle, à la différence et au refus de l’esclavage.» Une redondance certainement à fonction pédagogique dans un pays où toutes les mesures et lois criminalisant les pratiques esclavagistes ne sont presque pas appliquées ; ou si elles arrivent à l’être, elles finissent toujours par se faire au profit des présumés coupables et au grand dam des victimes. On l’a vu, vers la fin de l’année 2010 des militants de l’Initiative de Résurgence du mouvement Abolitionniste en Mauritanie, ont porté une affaire devant les autorités d’un département de Nouakchott et ont voulu exercer un suivi et une pression pour que cette affaire de présumé esclavagisme soit traitée en application de la loi de 2007 votée par le parlement mauritanien. Mais ces militants se sont retrouvés embarqués dans une spirale de violence avec les policiers de la Moughata d’Arafat, un département de Nouakchott. Il s’en est suivi des emprisonnements et des procès de militants. Et même si à côté, les présumés coupables avaient dû être jugés par ailleurs sous un tout autre chef d’accusation (exploitation de mineure), il est clair que la Mauritanie peine à assumer certaines de ses lois… Ce qui n’a pas été pour décourager outre mesure les militants de ce mouvement anti-esclavagiste, car il s’est passé par la suite bien d’autres cas et dans plusieurs régions du pays, où les activistes de l’IRA se sont montrés plus pugnaces ; et à chaque fois les accrochages avec les forces de l’ordre, durant les sit-in et marches se sont révélés si corsés qu’en terme de bilan on notait des blessés… Autre enjeu de la nouvelle disposition constitutionnelle envisagée, la diversité culturelle et le droit à la différence devrait, normalement ébranler tous les mécanismes d’un enrôlement qui n’est pas perçu d’un œil positif par une bonne partie des mauritaniens. Entre ceux qui le trouvent « discriminatoire, raciste et humiliant » et ceux qui estiment que ce recensement devrait tenir compte de « leur spécificité », il y a un véritable problème identitaire qui risque de faire effriter le projet d’une Mauritanie respectueuse de sa diversité. En effet, le même mouvement IRA fut le premier à dénoncer un enrôlement qui ne donne pas à la couche harratine une reconnaissance réelle. Car selon son dirigeant, Birame ould Abeid, les anciens esclaves que sont les harratines, ne sauraient être considérés comme partie constitutive de la communauté maure qui du reste est perçue par lui comme celle des anciens maitres. Ces harratines ne sauraient pas non plus être considérés comme de négro-africaines, même si la couleur et les origines paraissent opter pour cela ; car en plus il y a la langue et la culture qui font la différence. Mais la véritable radicalisation contre l’enrôlement est venue du côté des populations négro africaines dont plusieurs éléments se sont vu rejeter ou humilier par une commission de recensement dont l’écrasante majorité appartient à une seule communauté, celle des arabes. Ainsi la contestation du recensement que le ministre de l’intérieur Ould Boilil a réussi à faire voter et à faire démarrer en mai 2011, a atteint le summum de la colère lorsque, il y a plusieurs semaines, la police réprimait avec rage des marches à Nouakchott, Kaédi et Maghama ; répression allant jusqu’à causer mort d’homme et réduction à l’état d’invalidité d’un autre. Curieusement, le dialogue politique, auquel n’a participé que l’APP de Messaoud Ould Boulkheir, côté opposition présente au parlement, et dont les conclusions n’ont retenu que ce seul point social, a donné l’impression d’avoir donné la priorité aux politiques. Les quelques vingt points d’accord ont porté sur les élections, les prérogatives du Premier ministre, les découpages électoraux, etc. Et concrètement cela donne un poids supplémentaire aux partis politiques car il est désormais interdit de faire la transhumance politique ; au chef de file de l’opposition qui même n’ayant pas participé se voit gratifier (en attendant) d’un évitement de son statut ; au Premier ministre qui, peut-être, restera souverain désormais pour nommer aux hautes fonctions civiles et militaires après accord du président de la République et guère plus être seulement « solidairement avec les ministres, responsable devant l'Assemblée Nationale » dans la mesure où « la mise en jeu de la responsabilité politique résulte de la question de confiance ou de la motion de censure.» La nouvelle disposition envisagée en fait ainsi le chef du Gouvernement qui est responsable devant le Parlement qui a le droit de lui accorder ou de lui refuser sa confiance. Bien entendu ceci n’est pas suffisant. Car jusque-là, le président de la République « dispose du pouvoir réglementaire et peut en déléguer tout ou partie au Premier Ministre. Il (PR) nomme aux emplois civils et militaires.» et au vu du système de relations qui sont à la base de la nomination d’un PM en Mauritanie, il sera très difficile à celui-ci de se montrer indépendant vis-à-vis de celui qui l’a choisi… Il y a aussi les élus municipaux qui se voient protégés car désormais, « le maire d’une commune sera obligatoirement la tête de la liste ayant obtenu la majorité des suffrages ». Plus question des coups bas qui par le passé ont permis l’accession à la fonction de maire sans garde fous… Autres raisons de croire que les politiques ont été gâtés par le dialogue, « le relèvement de la liste nationale à 20 sièges, la création d’une liste nationale spécifique aux femmes de 20 sièges, le relèvement de la liste de Nouakchott à 20 sièges, le relèvement du nombre des élus de l’Assemblée nationale de 95 députés à 150 selon un découpage redistribuant les élus en fonction des proportions spécifiées, etc. Tout cela parait pourtant assez lourd en termes de budget dans un pays où très peu de parlementaires et représentants des populations consacrent leur temps et leurs revenus à faire régler les problèmes de ceux qui les ont élus. Combien, en effet, sont-ils parmi les députés de l’Assemblée Nationale ou les Sénateurs de la chambre haute à avoir voté non à la proposition d’institution de l’agence d’enrôlement ; agence dont la mise en branle s’est avérée un facteur de déchirement ? Même si, selon les nouvelles résolutions du dialogue, il est prévu que chaque député prenne à ses côtés un assistant issu de son parti, quelle garantie y a-t-il pour que celui-ci soit payé sans que l’Etat ne soit obligé de mettre la main à la cagnotte du peuple ? Combien seront-ils, ces députés qui par souci d’une compréhension rigoureuse des dossiers qui leurs seront soumis, seront prêts à accorder une infime partie de leurs faramineux émoluments à quelque assistant capable de mieux fouiner dans les paperasses avec lesquelles le gouvernement bourre souvent nos élus ? C’est donc au bout d’un peu moins d’un mois de causeries présentées comme dialogue autour de copieux plats de « riz besmetti garni de moutons rôtis accroupis », diront certains observateurs avec un brin de raillerie, que les participants ont pu s’accorder sur ce qui leur parait être l’essentiel. Et resteront en place les lignes rouges même si ce qui est cher à Mohamed Ould Abdel Aziz reste intact : le Basep, sa soupape de sécurité… Kissima Source : La Tribune N°569 du 16 octobre 2011 |
Lundi, 17 Octobre 2011 11:28 |