Hamidou Baba Kane, député à l’Assemblée nationale de la République islamique de Mauritanie, président d’un Groupe parlementaire et chef du parti Mouvement pour la Refondation (Mpr), n’a pas apprécié les lenteurs observées par son pays dans le conflit malien. Pour l’Honorable député qui séjourne présentement à Dakar, l’attitude attentiste de l’Etat mauritanien n’est pas synonyme de solidarité à l’égard d’un voisin qui voit sa case brûler. Dans cette interview, Hamidou Baba Kane revient aussi sur l’actualité politique de la République islamique de Mauritanie, en faisant remarquer qu’il n’est pas toujours facile de cohabiter avec un régime tenu par un militaire.
Quelles sont les raisons de votre visite au Sénégal ?
Je suis d’abord un habitué du Sénégal, ensuite je suis un consultant et à ce titre, j’ai des activités professionnelles, hors de la politique. C’est l’une des raisons de ma visite au Sénégal. La seconde raison, c’est une visite de contact avec les amis politiques qui sont au Sénégal d’autant plus que notre parti est en train de préparer son Congrès ordinaire au mois de juillet prochain et dans ce cadre, nous devons renforcer et consolider les relations avec les partis politiques de la sous-région, particulièrement ceux du Sénégal.
Donc, vous n’auriez pas fui les tensions politiques en Mauritanie ?
Je ne dirai pas fuir, même s’il y a effectivement des tensions politiques en Mauritanie. Moi, je les affronte toujours. Mais, on peut reculer pour mieux sauter de temps en temps. En ce qui concerne ces tensions politiques, elles tournent autour de la crise politique essentiellement entre l’opposition et le pouvoir. Nous devions organiser les élections législatives et municipales en octobre 2011, elles ont été finalement reportées de mois en mois ou d’année en année, cela fait déjà un bon moment qu’on aurait dû les organiser. Naturellement, il y a eu des oppositions par rapport à la manière d’organiser ces élections, par rapport à la structure qui doit les organiser bien que des acquis indéniables ont été obtenus lors du dialogue politique en septembre 2011, qui avait regroupé les partis de la majorité et une partie de l’opposition. Il y avait une autre partie, dite opposition radicale, qui n’avait pas participé à ce dialogue et qui ne se sent pas concerné par les résultats de ce dialogue. Mais de toute évidence, les résultats ont été transformés en actes législatifs ou en textes réglementaires et nous pensons que c’est un pas en avant par rapport à ce qui existait en Mauritanie. Il est vrai que les conditions d’une élection législative ou municipale ne sont pas encore réunies, mais cela ne peut se faire que par le dialogue. Voilà pourquoi nous, notre position, tout en étant de la majorité, c’est de dire que le dialogue n’est pas seulement une nécessité, mais doit être une forme de civilisation. Il est même consubstantiel à la politique si on veut aller vers des élections qui soient libres, transparentes, mais également démocratiques dans un cadre apaisé.
Vous n’êtes pas opposé au régime actuel, mais l’écrasante majorité des partis politiques réclame le départ de Mohamed Ould Abdel Aziz (président de la République), d’où le blocage de la vie politique…
C’est vrai que moi, je ne fais pas partie de ceux qui réclament le départ du Président, parce que je considère quelque part, qu’un pouvoir qui a été gagné ou obtenu par la rue sera également perdu par la rue. Il y a une opposition radicale chez nous, qui réclame le départ du Président à l’image de ces slogans empruntés aux pays du Maghreb, qui ont poussé certains chefs d’Etat au départ, mais la Mauritanie n’est ni la Tunisie, ni l’Egypte. Nous avons nos propres réalités qui font que d’autres questions se greffent aux problèmes politiques, aux problèmes sociétaux, aux problèmes relatifs à l’insuffisance d’unité nationale et de cohésion sociale, qui font que justement dans un pays divisé, personne ne peut se prévaloir de dire qu’il est la voix du Peuple. L’opposition radicale qui demande le départ du Président a mis la barre très haute à notre avis, mais le Pouvoir doit accepter de dialoguer avec cette opposition…
Mais justement, est-ce que vous pensez que le Président actuel est l’homme de la situation pour sortir la Mauritanie de la crise politique ?
Est-il l’homme de la situation ? Il pourrait l’être en tout cas, mais à condition également (il ne termine pas la phrase). Vous savez la politique aussi, c’est une question de rapports de force et que ce n’est pas une seule hirondelle qui fait le printemps. Nous avons des réalités qui sont encore têtues et un certain conservatisme en Mauritanie, qui est hérité d’une longue période de régime autocratique qui était celui de l’ancien Président Maouya Ould Taya. Le plus difficile, ce n’est pas d’adopter une nouvelle méthode, mais de changer de pratiques et d’habitudes. Nous avons un Président qui a aussi une culture militaire, on ne peut pas, parlant de la Mauritanie, évacuer cette équation qui s’accommode souvent difficilement d’une culture démocratique. C’est un problème.
Votre président est accusé par un homme politique français, d’être un trafiquant de drogue. En tant que politique et membre de la majorité, comment avez-vous apprécié cette déclaration grave, pour dire le moins ?
Vous parlez du député Noël Mamère qui s’est lui-même rétracté dans une autre déclaration, disant qu’il ne peut pas être instrumentalisé. Cela vaut ce que ça vaut. Il s’est dédit lui-même par rapport aux accusations qu’il avait proférées et pour tout vous dire, je ne pense pas qu’on peut reprocher ce qu’on veut à Mohamed Ould Abdel Aziz, mais je ne pense pas qu’il soit impliqué dans des affaires de drogue. Si j’avais une autre opinion, j’allais également la partager avec vous de la manière la plus claire et la plus franche.
Vous êtes annoncé comme candidat à la prochaine élection présidentielle. Etes-vous prêt à affronter l’actuel Président ?
D’abord, la prochaine élection, c’est dans quinze ou seize mois, donc nous avons le temps de voir venir les choses. Je dirige un parti politique, il va falloir que ses instances se prononcent sur cette question. Nous sommes en train par ailleurs de construire un nouveau pôle en Mauritanie, avec une opposition modérée, mais avec une majorité aussi qui n’est pas une majorité de béni oui oui. Il y a des évolutions majeures qui se passent en Mauritanie, dans quinze mois, on avisera.
A quand un président de la République négro-mauritanien ?
C’est vrai qu’en dehors de la parenthèse de l’intérim Bambaré, effectivement, il n’y a jamais eu de Président noir en Mauritanie. Mais quand on lutte au nom des principes, quand on est dans une dynamique de citoyenneté, je pense qu’on y arrivera. L’histoire a montré que des candidats qui n’étaient pas particulièrement blancs, que ce soit aux Etats-Unis, en Afrique du Sud ou ailleurs, sont devenus des présidents. Je pense que la roue de l’histoire tourne et elle tournera pour la Mauritanie.
A propos du conflit malien, craignez-vous que celui-ci étende ses tentacules jusqu’en Mauritanie ?
Le conflit malien est quelque part un problème mauritanien. Quand on partage 2200 kilomètres avec un pays voisin et frère, quand on partage également les mêmes composantes ethniques, il est évident que quand la case du voisin brûle, le feu peut se propager chez vous. J’ai regretté le fait que la Mauritanie n’a pas fait preuve de plus de solidarité vis-à-vis du Peuple et du gouvernement malien. Je l’ai dit publiquement et je le répète encore, bien vrai que nous avons reçu le Président malien Dioncounda Traoré hier (l’entretien a eu lieu mardi), le Président mauritanien lui-même a annoncé son intention de participer à ce qui se fera dans le cadre des Nations-Unies. Mais la vérité est que quand le feu se déclenche chez les voisins, on n’a pas besoin d’attendre les autres. On devrait très tôt mutualiser nos efforts dans le cadre de ce qui se fait avec la Cedeao, avec les Africains et manifester un devoir de solidarité plus fort.
La Mauritanie a été seule dans le nord Mali, qu’elle a occupé par le passé. Personne n’était venu nous appuyer quand on luttait contre les narco-terroristes. Maintenant que d’autres se sont mobilisés pour venir combattre de façon plus énergétique contre ces derniers, je pense qu’on ne devait pas manquer à l’appel.
Aly FALL Le Quotidien via Abda WONE
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