L’Hebdomadaire Le Calame s’entretient avec Mohamed Jemil Ould Mansour |
Jemil Ould Mansour : Je tiens d’abord à remercier le Calame pour son invitation à m’exprimer dans ses colonnes. Je tiens, ensuite, à m’excuser, auprès de votre rédaction, pour mon retard à y répondre. Quant à ces enregistrements, ils paraissent d’autant plus gravissimes que le régime maintient un silence suspect à leur égard. Mise-t-il sur le temps et l'oubli ? Mais leur objet dépasse la personne et touche la réputation et les intérêts du pays. Les allusions au charlatanisme, à la sorcellerie, au trafic dans les aéroports, etc., rendent l’affaire plus grave encore et justifient qu’on s’y attarde, considérant les informations qui les ont précédées et suivies, au sujet de l’incapacité du chef de l’Etat. Une enquête sérieuse, crédible et rapide s’impose.
-Aussitôt après avoir hérité de la présidence tournante de la COD, quelques jours après l’annonce, par la CENI, de la fourchette de date des élections municipales et législatives, vous avez reçu pratiquement tout le corps diplomatique occidental accrédité en Mauritanie. Sur quoi ont porté ces entretiens ?
Effectivement, nous avons eu à rencontrer les ambassadeurs européens accrédités à Nouakchott. Je tiens à préciser, à l’endroit de vos nombreux lecteurs, que ces entretiens étaient programmés, à l'initiative de la Représentation de l'Union Européenne en Mauritanie, bien avant que je sois appelé à la direction tournante de la Coordination de l’Opposition Démocratique (COD). J’étais accompagné, pour ce déjeuner de travail à la résidence de l’ambassadeur chef de délégation de l’UE, par une délégation du parti, comprenant son secrétaire général, Hamdi Ould Brahim, et ses deux figures de proue, Yaye N’Daw Coulibaly et Mohamed Lamine Ould Mohamed Moussa. Les discussions ont porté sur les élections en vue, les positions de Tawassoul, le Printemps arabe, les problèmes de corruption, l’attitude des Européens... Un débat franc et sincère, il faut le souligner.
On imagine bien qu’ils aient notamment porté sur la tension politique et le rejet, par la COD, de la décision de la CENI. Ces diplomates, dont les pays avaient contribué à l’accord de Dakar, seraient-ils prêts à s’investir pour amener les différents pôles politiques à un consensus permettant d’organiser des élections transparentes et inclusives ?
- Les parties extérieures, quels que soient leur importance et leur rôle, restent des parties extérieures. Elles demandent, aux forces nationales, de parvenir à un consensus aboutissant à un changement sérieux et à l’organisation d’élections libres, transparentes et justes. Dans cette optique, la COD a proposé une feuille de route globale, abordant la supervision politique, la réforme institutionnelle, les procédures administratives et techniques nécessaires et affirmé son accord pour une concertation nationale sérieuse avec toutes les parties du spectre politique. Cela dit, si nous ne sommes, nous, bien évidemment nullement embarrassés par un quelconque encouragement à la démocratie et à de libres élections libres transparentes, le régime en a, lui, un besoin clair et certain.
Si oui, la COD pourrait-elle accepter de revenir sur sa charte et sur le dernier communiqué qu’elle a publié en réaction à la décision de la CENI ?
Avant de parler des élections, la Coordination a expliqué et renouvelé sa position politique, considérant que le régime en place constitue l’une des manifestations de la crise et non un facteur de solution. Mais notre voie, pour changer le régime, reste la méthode démocratique et pacifique. Les gens ont commencé à parler des élections et nous avons alors expliqué ce que nous considérons comme nécessaire, pour la liberté, la transparence et l'équité de ces scrutins. C’est sur ces bases que nous sommes prêts à construire le débat.
Comment interprétez-vous la réaction de la majorité à la décision de la CENI ?
Le problème, avec la majorité, est qu’il ne s’agit pas d'un rassemblement politique composé d’acteurs dosant, rectifiant, comparant et prenant, enfin, positions communes, sur la base de discussions et d’évaluations claires, mais de partisans du Président, obéissant à ses ordres, alors qu’il fait, lui, fi de leurs orientations. Quant à l’embarras constaté dans le traitement des déclarations de la CENI, il s’explique par le processus même, confus dès l’origine, de la mise en place de cette commission.
En agissant de la sorte, la CENI n’aurait-elle pas fait preuve de son indépendance vis-à-vis du pouvoir ?
Avec le respect et la considération requis envers les membres de la commission électorale, nous la regardons comme une partie du dialogue vis-à-vis duquel nous avons adopté une position critique. Car le régime en contrôle toujours la plus grande partie et confirme, par son comportement, sa disponibilité à corrompre celle-ci. Avant d'être transparentes – et c’est là le domaine des commissions électorales – les élections doivent être libres – et cela dépend du pouvoir qui harcèle, brime, opprime, instrumentalise l’administration, caporalise la justice, exploite les services publics, à des fins électoralistes manifestes, étrangle tout homme d’affaires et quiconque ne lui obéissant pas au doigt et à l’œil.
Certains partis de la COD, dont le vôtre, sont suspectés de vouloir prendre part aux élections, pour ne pas rater l’occasion de ravir le leadership au niveau de l’opposition. Qu’en est-il ?
Notre parti fait partie de la Coordination de l'Opposition Démocratique qui a présenté une feuille de route, claire et convaincante, sur la base de laquelle se déterminent les positions des uns et des autres partis qui la composent. Naturellement, tout parti sérieux entend participer à la moindre élection et, à chaque fois qu’il a la possibilité d'atteindre les citoyens, il s’y emploie. Mais il est aussi vrai que la participation à des élections n'offrant pas les conditions de transparence, de liberté et d'honnêteté constitue une erreur de jugement et entraîne de fâcheuses conséquences.
La COD accuse le pouvoir de perpétuer la gabegie, une pandémie que le président Mohamed Ould Abdel Aziz s’était pourtant engagé à combattre, au lendemain même de son arrivée au pouvoir, en 2008. Sur quoi fonde-t-elle ces graves accusations ? - D'abord, vous constatez, avec moi, que la symphonie de la lutte contre la corruption n'est plus le morceau de musique préféré du régime, quoique certaines voix la fredonnent encore, d’une voix quelque peu enrouée, au demeurant. Les informations et autres indicateurs sur la corruption du régime n'échappent plus à personne. La confiance, en un certain nombre de personnalités réputées notoirement corrompues, a été rétablie, tout comme les marchés douteux, concédés à des sociétés que la plus simple enquête découvre attachées au très proche entourage du Président.
Fonctions « diverses » de son gendre, étouffement de l’affaire de son fils, terrains octroyés par trafic d'influence, traitements « orientés », pour ne pas dire intéressés, des dossiers, enregistrements, avancements et facilités... La liste est, malheureusement, interminable. L'administration, que le régime politise exagérément, lui faisant perdre force et signification ; la justice, qu’il prive de son indépendance et qu’il humilie, en l’instrumentalisant dans le moindre règlement de comptes ; l’institution militaire, avec ses avions délabrés, ses fonds et ses promotions hors de tout contrôle ; autant de corps gangrenés par une corruption devenue insupportable. Nombre de Mauritaniens ont eu du mal à comprendre votre position sur l’intervention de la France au Nord-Mali, occupé par des « intégristes islamistes ». Tawassoul, parti islamiste modéré, soutiendrait-il les « intégristes islamistes » et, donc la partition du Mali ?
Loin de là ! Nous avons expliqué, dans notre déclaration publiée en la circonstance, que nous rejetons ces groupes, leur approche et leur présence au Mali ; affirmé notre soutien, à l'unité du Mali et de son peuple, dans le cadre de l'Etat, de la justice et de la démocratie, préservant les droits de toutes les composantes ; et précisé que nous soutenons la solution pacifique, entre les populations du Mali, loin des étrangers, qu’il s’agisse des Fondamentalistes ou des Français... Cependant, nous avons condamné l'intervention française qui consacre le ciblage de la région, de ses ressources et de son indépendance. Nous pensons que les Maliens, leurs voisins et les pays de la région sont tout-à-fait en mesure de se débarrasser de l'extrémisme et de la tyrannie. Par sa nature exogène, la présence étrangère suscite la montée du fondamentalisme outrancier et lui fournit une justification qu’il ne trouve pas en son absence. Mais bref : nous verrons à qui les développements et le temps à venir donneront raison.
Quelle appréciation faites-vous de l’éventualité, pour la Mauritanie, d’envoyer des troupes au Mali, sous la bannière de l’ONU, alors qu’elle avait refusé, jusqu’ici, de le faire ?
Il est vrai que les forces de maintien de la paix, sous la bannière des Nations Unies, diffèrent des troupes de combat évoquées tantôt. Cependant, l'intérêt de la Mauritanie lui dicte de rester à l’écart du conflit, fournir tout son possible pour protéger ses citoyens, améliorer leurs relations avec tous les Maliens, consacrer son effort à protéger ses frontières, soutenir les solutions pacifiques et démocratiques et fournir, enfin, tout ce qu’elle peut, aux réfugiés et aux nécessiteux.
Propos recueillis par DL Source : Le Caleme http://www.lecalame.info/contenu_news.php?id=5826 |
Jeudi, 18 Avril 2013 00:05 |