Enfant marié de force en Mauritanie: des victimes brisent le silence |
Plusieurs centaines de filles mineures sont mariées chaque année en Mauritanie, selon l’Association des Femmes Chefs de Famille (AFCF). Le Courrier du Sahara a pu recueillir le témoignage de certaines d’entre elles avec le concours des ONG qui leur viennent en aide. «Je n’ai plus la force de me battre. Je suis fatiguée de souffrir.» La petite Dabel, mariée de force à un cousin à l’âge de 14 ans, peine à mettre des mots sur sa douleur. Elle nous fait le récit de ses souffrances au téléphone, en l’absence de son époux avec qui elle ne communique plus. «Un soir, mon père m’a enfermé dans ma chambre pendant que ma maman était hospitalisée. Le matin, alors qu’un autre mariage se préparait dans la famille, il m’a dit: on va te marier toi aussi. Je lui ai répondu que je ne voulais pas de ce mariage et qu’il devait attendre le retour de maman pour en discuter. Il n’a rien voulu entendre. J’ai beaucoup pleuré.» Une nuit de noces aux allures de viol Secrétaire générale de l’ONG Actions, active dans la lutte contre les mariages précoces, Soumaré Yakharé poursuit le récit en racontant l’atrocité d’une nuit de noces aux allures de viol. La petite Dabel est neutralisée sur le lit par des proches de la famille. La jeune mariée ne doit offrir aucune résistance à son époux. Le mariage est consommé en toute hâte. Seul le papa et quelques proches sont au courant de cet événement, organisé dans le dos de la maman: «Ces mariages ne sont jamais annoncés publiquement. Tout est fait dans la plus grande discrétion, au détriment de la mariée», explique Soumaré Yakharé. Une scolarité interrompue par le mari La petite Dabel vit son cauchemar seule, cloîtrée entre les quatre murs de sa maison. Elle ne sort pratiquement plus depuis que son mari l’a contraint à interrompre sa scolarité. A ses côtés, sa petite sœur de 12 ans, sa seule confidente. La fillette est effrayée. Son père a décidé de la retirer de l’école, elle aussi. Un très mauvais signal, selon Soumaré Yakharé: «Le père veut vraisemblablement la marier à son tour. La petite est très inquiète et nous le sommes aussi.» Des familles dans le besoin L’Association des femmes chefs de famille (AFCF), une autre ONG très active dans ce domaine, a dénombré près de 730 cas de mariages de mineurs en 2013 en Mauritanie. «Dans 80% des cas, ce sont des familles pauvres qui offrent leurs enfants en échange d’une dote substantielle pour subvenir à leurs besoins. La dote pour le mariage d’une fillette peut facilement dépasser le million d’ouguiyas (2500 euros). C’est beaucoup d’argent pour une famille nécessiteuse», explique Aminetou Mint El Moctar, présidente de l’AFCF. Des fillettes livrées aux réseaux de trafic d’êtres humains Les montants sont encore plus conséquents lorsque, dans les cas les plus extrêmes, ces fillettes sont livrées à des réseaux de trafic d’êtres humains. Selon l’AFCF, des filières ont été créées afin de repérer des jeunes filles susceptibles d’être mariées à l’étranger. Les intermédiaires se voient offrir jusqu’à 2 millions d’ouguiyas de commission (5000 euros). «Des étrangers paient jusqu’à 7 millions d’ouguiyas (17'500 euros) pour des fillettes de moins de 10 ans. Nous avons suivi le cas d’une orpheline, vendue par sa sœur à un Saoudien, via un intermédiaire. Elle pensait la marier à un homme riche et influent. Mais ça s’est terminé en une sombre affaire de prostitution. La jeune fille était présentée chaque soir à un autre homme. Un jour, elle a appelé sa grand-mère et lui a dit : grand-maman, je me marie tous les soirs. Elle ne comprenait pas vraiment ce qui lui arrivait», se désole Aminetou Mint El Moctar. Cette militante de la société civile poursuit en nous montrant la photo de deux enfants âgés d’à peine 5 ans, vêtus en costume traditionnel, au cours d’une cérémonie visant à sceller leur union future, selon la volonté de leurs deux familles. «Les parents veulent les habituer à être ensemble», témoigne Aminetou Mint El Moctar. Une loi jugée «discriminatoire» Adopté en 2001, le code du statut personnel est pourtant censé protéger les mineurs mais ce texte est jugé «discriminatoire» par les ONG actives dans la lutte contre les mariages précoces et forcés. Bien que l’âge du mariage soit fixé à 18 ans, l’article 6 prévoit une exception pour les personnes dites «incapables», un qualificatif flou sujet à toutes les interprétations. «L’incapable sous-entend une personne présentant un déficit mental. Mais ce jugement est laissé à la libre appréciation du tuteur, bien souvent un membre de la famille. Et beaucoup d’imams acceptent de marier des mineurs », déplore Aminetou Mint El Moctar. Plusieurs ONG réclament que cette clause soit également avalisée par un document médical. Le silence de la jeune fille vaut consentement De plus, si l’article 5 de ce code exige l’accord des deux époux pour valider le mariage, l’article 9 stipule que le silence de la jeune fille vaut consentement. Pour l’ONG Actions, ce silence n’a aucune valeur. «La fille n’a de toute façon jamais le droit à la parole. Ce sont les parents qui négocient son mariage», fait remarquer sa Secrétaire générale, Soumaré Yakharé. En février dernier, le mariage d’une jeune fille de 13 ans avec un homme d’une cinquantaine d’années a été cassé par décision de justice. Mais ce cas fait figure d’exception. Les mariages de mineurs ne sont quasiment jamais sanctionnés en Mauritanie. «Nous avons tenté des démarches en justice avec certaines fillettes. Le problème c’est qu’elles redoutent des représailles et se rétractent avant la fin de la procédure», explique Soumaré Yakharé de l’ONG Actions. Mariées et victimes de mauvais traitements De nombreuses fillettes sont également victimes de mauvais traitements selon les ONG qui leur viennent en aide. Mariée à 14 ans à un cousin, Mariem (photo ci-dessus - @Le Courrier du Sahara) a été battue dès les premières semaines par son époux. «Il ne voulait pas que je parte à l’école et moi je voulais continuer à y aller. Il accusait ma mère de m’encourager à me rebeller. A plusieurs reprises, il a menacé de la faire emprisonner si je refusais d’obéir à ses ordres», témoigne la jeune fille, prise en charge par l’AFCF. Le scénario est bien connu des ONG spécialisées dans ce domaine. Lorsque la fille refuse de se soumettre à son mari, c’est la mère qui est accusée de tous les maux. «Si la maman prend parti, elle est sanctionnée. Si elle ne dit rien, elle est accusée aussi. Elle n’a aucune marge de manœuvre», regrette Soumaré Yakharé. source: http://www.lecourrierdusahara.com/ |
Jeudi, 20 Mars 2014 09:47 |