Me Diabira Maroufa, président du GERDDES : « L’identification des tombes impose l’ouverture d’une enquête… ». |
Cridem : L’Etat mauritanien, par l’entremise du ministre des affaires islamiques, a décidé de mener une enquête pour localiser les tombes de toutes les personnes disparues dans des « conditions ambiguës » depuis 1960. Quelles réactions ça suscite chez vous ? Et, pensez-vous que cette mesure, comme annoncé, contribuera à consolider l’unité nationale ? Localiser les tombes des mauritaniens décédés dans des circonstances « ambiguës » sur toute la période de l’existence de l’Etat mauritanien est une mesure extrêmement importante. Je voudrais donc féliciter et encourager les autorités à aller dans ce sens. Cependant, la loi mauritanienne impose, pour toute mort « ambiguë » que le procureur ouvre une enquête. J’espère donc que ça sera l’occasion de lever l’ambiguïté de toutes ces morts en ouvrant des enquêtes qui permettront de savoir qui est mort, comment cette personnes est décédée, dans quelles circonstances elle a été tuée et surtout quels en sont les auteurs. Ainsi, cette obligation légale d’enquête si elle est satisfaite, permettra aux mauritaniens, non seulement de localiser les tombes mais surtout aux familles qui réclament des enquêtes depuis de longues années d’aborder la question fondamentale de la réparation mais également du pardon, du dépassement. C’est heureux que l’Etat mauritanien entreprenne l’identification des tombes qui impose obligatoirement l’ouverture d’enquête pour savoir dans quelles circonstance les personnes dont les tombes sont identifiées ont été tuées. Voila en quoi cette mesure pourrait aller dans le sens d’une consolidation des lien d’union, d’entente et de solidarité entre toutes les composantes, toutes les franges du peuple mauritanien. Pour que cette mesure ne soit un pont d’amertume, il faudrait que les exigences de vérité, de justice, de réparation, suivies d’un pardon soient satisfaites. Autrement, cela risque d’être un pont d’amertume plutôt qu’un pont de communication spirituelle entre les vivants et les morts. Cridem : Plus précisément, quand on parle des gens disparus dans « des conditions ambiguës » ; qu’est ce que ça représente, ça vous penser à qui ? Mort dans des « circonstances ambiguës » veut certainement dire mort sans que les circonstances soient définies, sans l’identification des responsables de cette mort et sans aussi l’identification du lieu de sépulture. Quand on soulève cette question aujourd’hui en Mauritanie précisément, je pense, entre autres, à l’ensemble de victimes des années 86 à 93. C’est ce qu’on appelle communément passif humanitaire. Ceci a concerné des victimes civiles et militaires essentiellement négro-africaine. Les veuves, les orphelins, les pères et mères de ce qui ont disparu continuent de poser de façon lancinante cette question en demandant aux autorités d’ouvrir une enquête, de visiter les tombes. Après cela, on peut penser effectivement, si justice est faites, si réparation est faite intégralement, que les cœurs revêtiront la paix permettant de prier décemment sur les tombes. L’annonce faite par les autorités concerne les mauritaniens tués en Mauritanie. Mais, Permettez moi aussi d’avoir une pensée pour les mauritaniens tués au Sénégal pendant les événements de 1989. Cridem : Vous, personnellement, en tant qu’avocat, vous avez eu à défendre des personnes exécutées après jugement. Le problème se pose-t-il pour elles aussi ? Par rapport à cette question, je pense que l’identification des tombes peut se faire pour les familles. Ces tombes sont connues car les exécutions ont été faites suite à une décision de justice extrêmement critiquable et que nous avions critiqué en déposant une demande en grâce. Je pense que par rapport aux personnes qui ont été bien ou mal jugées, ayant fait l’objet d’une décision d’exécution, les tombes ne sont pas inconnues. Peut être inconnues seulement des familles des exécutés. Ces tombes sont facilement identifiables car, bien souvent, avant même l’exécution, l’emplacement de la dernière demeure est choisi, identifié. J’ai eu effectivement l’occasion défendre trois jeunes lieutenants exécutés en 1987 (NDLR, accusés de complot contre la sureté de l’Etat). Ils ont été inhumés dans des circonstances qui ne portent pas ambiguïté. Il suffit seulement aujourd’hui de prendre la décision d’indiquer le lieu à leurs familles. Ce ci étant, est ce l’occasion de revenir sur ce jugement qui n’a pas revêtu un caractère juste, équitable et qui était l’expression d’une vengeance plutôt que l’expression d’une justice républicaine.
Propos recueillis par Khalilou Diagana Source : cridem |
Jeudi, 26 Mai 2011 15:46 |