Tabara M’bodj est la présidente de l'ONG d'Aide à l'Insertion Sociale des Enfants de la Rue (AISER). Depuis 4 ans, à chaque 16 juin, elle s’échine à organiser la journée de l’Enfant Africain. Malgré les faibles moyens dont elle dispose, elle réussit tout de même, avec l’appui de bonnes volontés (CUN, Unicef, Air France,Hôtel Iman, AGM), à offrir gratuitement du repas, des vêtements à plus de 80 enfants en majorité des talibés. En marge de la célébration de la journée de l’Enfant Africain, nous l’avons rencontrée pour faire un tour d’horizon notamment de la question des enfants de la rue.
Cridem : Chaque année, vous jouez des pieds et de la tête pour rendre heureux les talibés souvent livrés à eux-mêmes. Quel est, aujourd’hui, le sort de cette catégorie sociale ?
Tabara M’bodj : Je me suis engagée à les rendre heureux à la suite d’un cri de cœur. J’ai développé cet amour de l’enfant depuis que je suis toute petite. Je suis issue d’une famille qui m’a tout donné : l’éducation, la santé, l’épanouissement…
J’ai toujours trouvé ingrat de voir des parents envoyer leurs enfants chez un marabout pour se retrouver dans la rue. Je trouve injuste de voir les enfants le matin mendier, dans une situation de misère, de souffrance. C’est pour cette raison que je me donne corps et âme dans ce combat. Les enfants de la rue communément appelés "talibés" vivent une situation désastreuse. Tout le monde connait leur sort. Chaque matin, en allant au lieu de travail, on les rencontre. Ces enfants n’ont qu’un seul souci quand ils se réveillent à 5h du matin, c’est d’avoir 300 UM à remettre à leurs marabouts.
Cridem : Le constat est là mais concrètement où en est la Mauritanie par rapport à la lutte contre le phénomène des enfants de la rue, la mendicité infantile qui prend de plus en plus de l’ampleur ?
Tabara M’bodj : La Mauritanie est à 0% en ce qui concerne la lutte contre la mendicité infantile. Les autres pays avancent. De son côté, la Mauritanie recule. Rien n’est fait pour lutter contre le phénomène de la mendicité infantile. Lorsque les pouvoirs publics avaient décidé qu’ils ne veulent plus voir d’enfants talibés dans la rue, les marabouts avaient ramené les leurs aux villages. Quelques jours, plus tard, on ne voyait plus d’enfants dans la rue. Mais, aujourd’hui, on constate que les enfants de la rue pullulent un peu partout à Nouakchott.
Cridem : Alors, qu’est-ce qui expliquerait la recrudescence de ce phénomène ?
Tabara M’bodj : Cela est dû à une absence de volonté politique. Or, j’en suis persuadée que c’est une situation que l’on peut régler en quelques heures. Il suffit tout juste d’une volonté politique. Lorsqu’on nomme un ministre, tout Nouakchott est au courant. Le gouvernement peut venir à bout de la mendicité infantile.
Les parents de ces enfants de la rue que l’on voit tous les jours ne sont pas de Nouakchott. Même si c’est vrai que l’on ne peut pas éradiquer le phénomène de la mendicité infantile, on peut quand même essayer de trouver un partenariat entre les marabouts et l’Etat. On peut par exemple subventionner les maîtres coraniques, voir leurs besoins réels et voir pourquoi les enfants sont dans la rue, pourquoi ils ne peuvent pas suivre une éducation religieuse de qualité sans souffrance corporelle ni morale.
La résolution de ce problème doit passer d’abor au niveau local avec l’implication des communes d’arrondissements. C’est un problème qui concerne tout le monde. C’est un phénomène qui ternit l’image de notre pays. Il y’a des marabouts qui ont leurs enfants dans leurs mahadras mais ne les emmènent pas mendier. Ce qui est tout à fait bizarre. Il faut qu’on aide les marabouts.
Cridem : Mais, où passe l’argent que reçoit la Mauritanie de la part de ses partenaires comme l’Unicef ?
Tabara M’bodj : Je me pose également la même question. Comment un bailleur peut-il accepter que son argent entre dans un programme qui ne donne pas de résultats ? Malgré tout l’argent que l’on donne pour appuyer les politiques destinées à l’enfance, le phénomène de la mendicité infantile est toujours là. Les partenaires doivent taper sur la table dès l’instant qu’il n’y a pas de satisfaction.
L’Unicef est là pour défendre les enfants. Mais, j’ai l’impression dans ses programmes d’appui, l’Unicef exclut les enfants. Je constate qu’il n’y a pas réellement un engagement de la part de l’Etat, des organismes qui appuient l’enfance pour lutter contre le phénomène de la mendicité infantile. On voudrait que l’Unicef et l’Etat s’impliquent davantage dans la lutte contre la mendicité infantile. Il faut que dans leurs programmes, ils prennent en compte les enfants de la rue.
Propos recueillis par Babacar Baye Ndiaye
Source : cridem |