Dans la déclaration suivante Maître A.S.Bouhoubeyni, Bâtonnier de l’ordre national des avocats mauritaniens, réagi aux mesures disciplinaires prises à l’encontre de certains magistrats parmi les quel Mohamed Lemine Ould Moctar. Lire l’intégralité de la réaction du Bâtonnier
Dans une première de l’histoire de notre justice, la formation disciplinaire du conseil supérieur de la magistrature a siégé aujourd’hui sur saisine du ministre de la justice, à l’effet de statuer sur ce qu’il a appelé des fautes professionnelles graves portant atteinte à l’honneur de la magistrature à l’encontre d’un certains nombre de magistrats dont Mohamed Lemine Ould Moctar.
Les fautes professionnelles en question, que je croyais corruption évidente, acte quelconque portant atteinte à l’honneur de la profession, se sont avérées justes l’intime conviction du juge.
En effet, dans la lettre de saisine du ministre de la justice et dans le rapport de l’inspecteur général, aucun reproche n’a été fait au juge Mohamed Lemine Ould Moctar, sauf, celui d’avoir pris, avec ses pairs (selon son intime conviction) la décision d’acquittement n° 63/2011 en date du 11-07-2011, qui semble au ministre de la justice inopportune.
Elle n’en reste pas moins une décision de justice qui mérite respect en tant que tel. A charge pour ceux qui en contestent le bien fondé d’user des droits de recours offerts par le droit, en l’occurrence, le pourvoi en cassation.
Je ne défends pas les individus objet de la décision, n’ayant pas une connaissance du dossier, je ne défends pas la décision elle-même qui peut connaître, suivant les appréciations des uns et des autres diverses interprétations, quand à sa pertinence. Mais je défends un principe supérieur à tout cela, celui de l’indépendance de la justice et la séparation des pouvoirs.
Or, il se trouve que ceux-ci sont en jeu aujourd’hui dans cette affaire. Lorsque le ministre de la justice dans sa lettre de saisine du conseil de discipline n° 112 en date du 06 Septembre 2011, qualifie les personnes qui, à ce jour bénéficient d’un acquittement, de criminels et de "bande de criminels", il n’a rien compris au principe de la présomption d’innocence consacré par la constitution, les lois nationales, les principes généraux et les conventions internationales.
Lorsque le ministre de la justice qualifie, dans sa lettre, la décision "d’acquittement de ces criminels" comme une faute professionnelle, il fait preuve d’une absence fort inquiétante de respect pour le juge et de respect pour la justice, étant entendu qu’il n’existe pas de criminel par évidence ou innocent par évidence et seuls les tribunaux, sont habiletés à statuer.
Lorsque dans son rapport en date du 14 Août 2011, l’inspecteur général de la justice, chargé entre autre de vérifier la célérité des décisions de justice, reproche à la décision en question d’avoir été prise dans un délai de quatre mois (seulement) alors que la décision de la Cour Criminelle, objet de l’appel, avait pris presque deux ans, il n’a rien compris a sa mission et notamment de l’aspect concernant le bon déroulement de l’administration de la justice.
Lorsque le ministre de la justice, dans sa lettre et l’inspecteur général dans son rapport, soulignent que "la décision d’acquittement est mal fondée parce que la poursuite était faite sur la base d’un procès verbal établi par une commission de neuf officiers de police et de gendarmerie", c’est incontestablement une manière de donner plus de crédit aux procès verbaux qu’aux décisions de justice qui doivent, suivant cette lecture, se fier aux contenu des procès verbaux en les adoptant tel quel et en leur donnant plus de force que celle attribuée par la loi oubliant ainsi qu’elles ne s’imposent pas au juge, lequel demeure libre de les adopter ou de les écarter.
Lorsque la lettre du ministre ainsi que le rapport de l’inspecteur général, reprochent à la décision de justice qui a conduit à la procédure disciplinaire d’avoir reposé en partie sur les prétentions des avocats relatives au non respect des droit de défense, ils font par ailleurs preuve d’un grand mépris aux droits de la défense.
Ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est le respect de la magistrature qui, en principe n’est soumise dans l’exercice de ses fonctions qu’à la seule autorité de la loi. Il convient de rappeler en fin que la procédure adoptée était complètement irrégulière.
En ce qui concerne la saisine, le ministre de la justice, selon la loi, doit saisir le conseil supérieur de la magistrature, lequel appréciera l’opportunité de saisir ou non la formation disciplinaire. Or, dans la procédure suivie, le ministre de la justice a saisi directement la formation disciplinaire en violation de la loi.
Par ailleurs, la formation disciplinaire qui a siégée le 11-09-2011, était incomplète. Les représentants des magistrats au sein de la formation disciplinaire ont été empêchés d’y siéger. Ce qui constitue en soi une insulte à l’ensemble des magistrats qui doivent comprendre que s’ils ne sont pas en mesure de défendre leurs propres intérêts, ils ne sont guère en mesure d’assurer les libertés et les droits des citoyens.
En fin, ce qu’il faut retenir de cette procédure, c’est que la justice est en danger dans notre pays. Les juges doivent désormais être en droite ligne avec l’intime conviction du pouvoir exécutif faute de quoi le conseil de discipline, amputé des représentants des magistrats, est là pour les radier.
Nouakchott le 12/09/2011
Maître Ahmed Salem Bouhoubeyni
Défenseur de Mr Mohamed lemine Ould Moctar
source : CRIDEM |