A quand la révolution en Mauritanie |
Les événements qui secouent le monde arabe doivent nous amener à nous interroger sur ce qui pourrait se passer en Mauritanie. Certes, depuis août 2005 et la chute du dictateur Sidi Mohamed Ould Ahmed Taya, qui a régné vingt et un an, on ne peut comparer la situation de la Mauritanie à celle de la Tunisie de Ben Ali ou de l’Egypte de Hosni Moubarak et d’autres pays arabes où des dictateurs régnaient depuis de longues années.
En Mars 2007, « des manifestants du mouvement libéral égyptien Kifaya se sont rassemblés dans un square du centre du Caire pour demander que Hosni Moubarak, le Président de la Grande République Egyptienne, messager de l’Arabisme et de la Révolution, rende son régime plus ressemblant à celui de la Mauritanie, un pays dont probablement beaucoup d’Egyptiens ne savent même pas qu’il fait partie de la Ligue Arabe. »1
En effet, en 2007, à travers le monde, la Mauritanie, dirigée par Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, était citée comme un exemple de démocratie dans la galaxie africaine et arabe, même si cette démocratie avait de nombreuses limites pour ceux qui l’observaient de l’intérieur avec une certaine distance.
Le coup d’Etat mené par le Général Mohamed Ould Abdel Aziz, le 06 août 2008, a semé le doute dans les esprits. Il a montré la limite de la démocratie mauritanienne et le peu de respect qu’accordent les militaires du pays à la légalité. Dans la nuit du 15 au 16 avril, le chef des putschistes, le Général Ould Abdelaziz démissionnait de l’armée et de son poste de Président du Haut Conseil d’État (HCE), composé de onze membres qu’il avait mis sur pied après avoir chassé du pouvoir Sidi Ould Cheikh Abdallahi.
Ce qui a motivé ce départ était de répondre aux conditions exigées pour se présenter à la présidentielle du 6 juin 2009, les militaires ne pouvant, en Mauritanie, concourir au titre de Chef d’Etat.
Etrangement, rares sont ceux, les membres de l’opposition mauritanienne compris, qui ont suffisamment souligné que sa démission ne suffisait pas à rendre sa candidature légale car la Mauritanie a signé et ratifié la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance qui, dans son article 25 aliéna 4, stipule : « Les auteurs de changement anticonstitutionnel de gouvernement ne doivent ni participer aux élections organisées pour la restitution de l’ordre démocratique, ni occuper des postes de responsabilité dans les institutions politiques de leur Etat. »
En l’absence d’une opposition forte, le Général a fini par être candidat et a été élu comme Chef d’Etat et donc Président de la République aux termes de l’article 23 de la Constitution mauritanienne qui affirme que le Président de la République est le Chef de l’Etat.
Ce qui fait différence entre ce qui s’est passé en Tunisie, en Egypte d’une part et la Mauritanie d’autre part, est que, dans les deux premiers pays, c’est le peuple qui s’est décidé à prendre son destin en main, à chasser ses dictateurs et s’est réuni autour d’un minimum d’objectifs : le départ de leurs présidents respectifs, et l’instauration de régime démocratique. Dans ces deux pays africains et arabes où les révolutions ont surgi, les armées se sont rangées du côté de leur peuple. Cette attitude de l’armée a moins complexifié la tâche des contestataires. Ainsi, en Tunisie et en Egypte, les masses savent maintenant que ce sont elles qui détiennent les clefs du pouvoir. Elles ont arraché leur liberté et se sont réapproprié la souveraineté nationale. L’histoire de l’Egypte et de la Tunisie ne sera plus la même. Un pas important a été franchi, celui de la conscience de son pouvoir par un peuple. Les vrais changements ne peuvent venir que des masses et souvent la classe politique mauritanienne n’a pas voulu prêter attention à cet axiome.
La faiblesse du travail fait en vue de la conscientisation et la formation des masses en est la démonstration. Les acteurs politiques mauritaniens ont rarement un penchant pour une telle tâche. Chacun d’entre eux se croit être le début et la fin de toute chose. Il se donne souvent une importance qu’il n’a pas. Celui qui veut travailler avec lui doit composer avec ses sentiments, lui faire la cour, lui obéir. Il se croit souvent rusé ou intelligent alors qu’il est aveugle. Ce qu’il oublie est qu’aucune démocratie n’est possible sans une implication massive des populations en Mauritanie, ce sont des militaires qui ont chassé un des leurs, dictateur cruel qui a longtemps régné en maître sur le pays avec leur complicité. Le Général Abdel Aziz était le protecteur d’Ould Taya durant tout son funeste règne. Ainsi, la Mauritanie ne peut pas être démocratique. Car ce n’est pas à travers des coups d’Etat que la démocratie réelle s’instaure. Celle-ci s’obtient par une conquête populaire, par le réveil des masses unies autour de valeurs fondamentales, bases de toute démocratie. Aussi, une démocratie ne peut être pérenne que grâce à la vigilance collective.
Il est important d’analyser comment on en est arrivé aux bouleversements en Tunisie et en Egypte. Un des facteurs clef de compréhension est celui de l’éducation. Nous avons toujours souligné dans nos précédents articles que le grand combat de l’Afrique pour sa libération est celui de l’éducation. Certes, à elle seule, l’éducation ne suffit pas. Il faudrait qu’elle s’accompagne progressivement d’une individuation de la société. Dans des sociétés comme celle de la Mauritanie, la pensée collective est encore très prégnante. Le poids de l’appartenance, la pensée commune, inhibent les esprits, étouffent l’aspiration à la liberté et à l’originalité, tuent les esprits créateurs, contrarient le rapprochement entre personnes d’origines différentes. Ainsi, le champ politique est miné par les appartenances, le féodalisme, la hiérarchisation sociale, la dévalorisation du mérite, les combines affectives, le manque d’importance de la pensée et de la rigueur.
Les Mauritaniens de la génération actuelle ont rarement une opinion fondée sur une analyse personnelle approfondie sur quelqu’un, sur sa pensée. Leur perception d’un individu est fondée sur ce que l’on dit dans les salons sur celui-ci, sur la rumeur, sur des informations glanées à la légère par-ci et par-là, sur ce qu’on a capté en un instant sur un être en perpétuel mouvement. Rarement la complexité humaine est prise en compte. Il est difficile de se faire entendre en tant qu’individu pensant car, dans ce milieu, on entend très, très peu, les réflexions des personnes, surtout lorsqu’elles sont originales. On retient plus ce qu’on a entendu dire ou l’idée que les personnes à influence disent des personnes. On se cramponne à des codes de lecture très limités, à ses peurs, à son refus de voir ou entendre autre chose que ce que l’on veut voir ou entendre.
« Un peuple n’affronte pas tous les aléas et les risques potentiellement terribles pour lui, d’une révolution, simplement parce que la société est injuste. Il faut qu’il soit parvenu au sentiment que cette injustice est illégitime, intolérable.
Pour qu’un s’exprime un besoin de liberté individuelle, il faut d’abord que ce soit née la figure de l’individu. L’individu c’est qui ? C’est le fonctionnaire, l’universitaire, l’avocat, le médecin, l’ingénieur. C’est aussi peu à peu l’ouvrier industriel. Il s’agit d’un nouvel acteur social, né au forceps, sous pression colonial, à partir de l’éclatement des communautés traditionnelles, tribales, urbaines ou villageoises. Avant son émergence, le besoin de liberté personnelle n’a pas de sens, le chef traditionnel parle pour tous les siens et tout est dit. Avec son émergence des aspirations nouvelles commencent à s’exprimer. »2
En Tunisie et en Egypte, c’est une jeunesse branchée au monde moderne qui s’est saisie de son destin. Les caciques politiques ont été pris au dépourvu. Il s’agit de mouvementsspontanés qui traduisent le ras-le-bol d’une jeunesse familière d’Internet et des chaînes de télévision mondiales. Une jeunesse qui aspire à vivre comme les jeunes qu’ils voient à la télé, sur Internet, ou qu’ils ont fréquentés lors de leurs études. Ces jeunes-là sont attachés à leur pays. On a vu à Paris des jeunes égyptiens, au bord des larmes, qui affirmaient : enfin nous pourrons renter chez nous, travailler et vivre normalement. Que ce cri du cœur soit un rêve ou une réalité, il témoigne, au moins, d’une aspiration.
En Egypte et en Tunisie, c’est donc une catégorie de la population qui a compris l’importance de la place à accorder à la liberté, à la justice et à l’individu dans l’organisation des sociétés contemporaines et qui a initié le mouvement. Dans les pays africains, comme dans les pays arabes, l’absorption de la personne par le groupe est l’un des freins essentiels à la démocratie et au développement. J’ai déjà fait allusion à ce problème dans mes différents articles. Les deux révolutions témoignent d’une rupture générationnelle.
En Mauritanie, le poids du groupe et de l’appartenance est encore très pesant. Par conséquent, la notion de liberté, souvent assimilée à la débauche, les notions de justice, d’égalité et d’individu ne sont pas encore ancrées dans les esprits. On le constate facilement en côtoyant ceux qui militent. La plupart des Mauritaniens, y compris les militants les plus en vue, ne conçoivent la politique qu’en termes d’appartenance, de relationnels et non d’idéaux ou de valeurs. Aussi, la plupart d’entre eux ne sont pas des démocrates dans leur quotidien. Dans leurs actions politiques, ils reproduisent les schémas archaïques qui laissent peu de place à l’individu, aux fondamentaux de la démocratie, aux idées.
Globalement le niveau culturel, d’intégration des valeurs démocratiques et d’intelligence d’Etat des Mauritaniens est très faible. Cela a un impact certain sur l’avenir du pays et son évolution. Pour le moment, il est difficile de penser à une révolution à la tunisienne ou à l’égyptienne en Mauritanie. Mais il ne faut guère perdre espoir car l’histoire est imprédictible. Elle s’accélère parfois lorsque l’on s’y attend le moins. Les sursauts de conscience sont difficiles à prévoir et à comprendre.
Oumar DIAGNE
Ecrivain
1 La Mauritanie, du colonialisme à la dictature et à la démocratie par Gold, diplomate, Paru dans le Jérusalem Post du 5 Avril 2007, traduit par Stéphane Teicher pour www.nuitdorient.com
2 Mahmoud Hussein « Ces révolutions ont brisé une malédiction arabe » in libération du 2 février 2011, p. 6
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Lundi, 14 Février 2011 00:18 |