Une politique linguistique non réfléchie : langues nationales de la Mauritanie : Peulh, Soninké, Wolof, ‘‘Hassanya’’ et même ‘‘Bambara’’ (suite) |
Avant d’aborder la question des langues nationales, il est important de faire un bref rappel et une mise au point du dernier article portant sur la question de langue(s) officielle(s) (1) dont celui-ci n’est qu’une suite. Ainsi, dans le premier texte, il a été question de mettre en lumière l’importance et la pertinence d’apprendre, de connaitre et de maîtriser les deux langues internationales inscrites dans le patrimoine national de la Mauritanie. Il s’agit de l’Arabe et du Français qui doivent être considérées et officialisées au sein de ce pays car chacun y joue un rôle très important et incontournable. Ca serait débile, complètement débile de considérer l’Arabe comme étant une langue destinée aux Maures uniquement et le Français, une valorisant les Négro-mauritaniens ou étant plus opportun pour eux. Ceci étant dit, dans l’article précédent, j’ai avancé les propos suivants : « Faisant ainsi partie de l’histoire nationale, si la langue française ne fait pas partie de l’identité de certains mauritaniens, elle constitue un élément identitaire fondamental pour d’autres et cela est égal et valable pour l’arabe. » En fin de compte, en y réfléchissant, j’ai réalisé, je me suis rendue compte que toutes les deux langues constituent, plus que jamais, des éléments identitaires pour toutes les personnes des différentes composantes communautaires mauritaniennes et cela sans exception. Ce point trouve son explication dans les deux paragraphes suivants. Pour mieux appréhender l’Islam - religion commune de tous les mauritaniens, il est important voire indispensable d’apprendre et de connaitre l’Arabe – langue dans laquelle est descendue le Coran. Ce point montre à quel point l’Arabe n’est pas un élément identitaire de la communauté Maure seulement, il l’est aussi, qu’on le veille ou pas et d’une manière ou d’une autre, pour celle Négro-mauritanienne : TOUS prient dans cette langue. En plus, la maîtrise de cette langue va au-delà de la question religieuse car c’est aussi une langue d’ouverture, de dialogue et d’échanges avec un nombre important de pays. Pour mieux communiquer avec d’autres pays aussi afin de se développer davantage - tel que le pays de nos anciens colonisateurs dont l’histoire nous liera toujours à eux, il est important voire indispensable d’apprendre et de connaitre le Français. Ce point aussi montre à quel point le Français n’est pas un élément identitaire de la communauté Négro-mauritanienne seulement, il l’est aussi, qu’on le veille ou pas et d’une manière ou d’une autre, pour celle Maure. Cela parce que c’est toute la Mauritanie - TOUS les mauritaniens – qui a été colonisée et non une ‘‘race’’ unique ou certaines composantes communautaires seulement. L’arabe et le français font, plus que jamais parti de la Mauritanie, de nous. Ne perdons pas de vue que notre identité est une identité complexe et ‘‘composite’’. Cela dit qu’elle renferme plusieurs appartenances comme le soutient avec logique Amine Maalouf. Le Maroc et la Tunisie, pour ne prendre que ces deux exemples, sont pourtant des pays arabes colonisés par la France qui, aujourd’hui, ont une haute considération pour le français, s’y réfèrent et l’utilisent dans de nombreux domaines… Pour conclure cette partie, ce rappel sur la question de langue(s) officielle(s), je répète que la Mauritanie devrait/doit être dotée de deux langues officielles : l’Arabe et le Français. Pour aborder le point sur la question des langues nationales, les questions posées à la fin de l’article précédent sont : Dès lors, il faut se demander quelle est la place des langues nationales en Mauritanie ? Est-il pertinent d’écrire dans une ou des langue(s) manié(es) juste par l’élite et incomprise(s) ou inaccessible(s) à une partie importante de la population ? En lisant le titre de ce texte, certains pourraient penser que c’est une provocation, d’autres pourraient se demander si je suis lucide, d’autres encore pourraient se demander si c’est bien de la Mauritanie que je parle (en classant le ‘‘hassaniya’’ et le ‘’Bambara’’ dans le lot des langues nationales), d’autres aussi pourraient faire chorus à mes idées... A moi de répondre - au cas où l’on se poserait l’une de ces questions : je ne provoque personne – loin de moi cette idée d’ailleurs, je suis bien lucide ou, plutôt, je pense bien l’être, je parle bien de la Mauritanie, de la République Islamique et merci à ceux qui seraient d’accord. Dans un souci de structuration et afin de mieux être comprise, il est important de répondre à la première question - quelle est la place des langues nationales en Mauritanie ? – en deux parties. La première sera consacrée aux langues nationales officiellement reconnues par la constitution : Peulh, Soninké et Wolof. La seconde partie, quant à elle, se focalisera sur le ‘‘hassanya’’ et le ‘’bambara’’ qui devraient être considérées comme des langues nationales au même titre que les trois autres. Dans ce deuxième point, il est question d’aller, au-delà de la constitution, établir une logique ou, plutôt, ‘‘ma’’ logique des choses. Concernant la première partie, les langues nationales, il faut noter qu’elles ont été longtemps négligées. Elles n’ont été reconnues et institutionnalisées qu’après que les négro-mauritaniens aient manifestés, d’une manière ou d’une autre, leur mécontentement face au délaissement et à la négligence de leurs différentes langues respectives. Ainsi, ce n’est que tardivement qu’elles ont été reconnues, officialisées voire institutionnalisées.
Cette avancée marque un pas grandiose dans l’histoire de la Mauritanie avec la création de l’Institut des Langues Nationales (ILN) ayant « « pour mission d’organiser, de coordonner et de promouvoir l’ensemble des recherches appliquées dans le domaine de toutes les Langues Nationales.»» (2) Malgré tous les efforts fournis et toutes les différentes agitations afin que l’enseignement ou l’institut des langues nationales voit le jour, cet institut s’est vu en panne juste quelques années après avoir été opérationnel. C’est dans ce contexte que la Coordination des Associations Culturelles Nationales, principale actrice de cette situation, demande, dans l’un de ses textes établi en février 2011, l’établissement d’un nouveau système éducatif. Un « système qui devra s’appuyer sur l’émergence d’une nouvelle politique fondée sur le respect des communautés nationales, de leurs langues et de leurs cultures. La vision des associations culturelles nationales est que l’école mauritanienne produise un homme fondamentalement intégré dans son milieu, conscient et acteur du développement, de la transformation de son environnement et des mentalités.» (3) Pourquoi ne pas répondre et satisfaire les besoins de ces cultures ? Est-ce aussi compliqué que cela ? Je donnerai quelques éléments de réponse plus bas. S’agissant de la seconde partie, j’ai classé le Hassanya dans le rayon de langues nationales car elle en est une. En tout cas pour moi. J’ai fait pareil pour le bambara car lui, aussi, en devrait être/est une aussi. Par rapport au hassanya, je dirai, comme certains, qu’il n’est pas l’arabe. L’’arabe, non plus, n’est pas le hassanya. Le hassanya dérive plutôt de l’arabe dont il est un dialecte au même titre que le darija marocain, tunisien, algérien… Honnêteté intellectuelle oblige, il faut le reconnaître le hassanya est le dialecte le plus proche de l’arabe, comme on le dit, mais, une fois encore, il n’est pas l’arabe. Cette confusion, retrouvée dans la constitution, empêche la part des choses d’être faite car deux langues s’y retrouvent en une : est-ce une question mauvaise foi ? De ma part, ayant fait la distinction et ayant levé toute équivoque, je peux poursuivre mon raisonnement. Je me permets d’ouvrir une petite parenthèse, concernant le hassanya, avant d’aborder le point sur le bambara. Si on avait, naturellement, laissé la cours des choses se faire, le hassanya émergerait, prendrait, avec beaucoup d’écart et plus d’ampleur, le dessus des autres langues nationales même si c’est réellement le cas (dû à l’importance de la population maure et, aussi, à une partie de la population négro-mauritanienne qui le parle). Cela se fera de la même sorte que le wolof au Sénégal, le bambara au Mali, le darija au Maroc et j’en passe. Mais confusion de langues (hassanya/arabe) et imposition d’une langue (arabe) font perdre tout le monde, moi, en premier. Quant au bambara, il devrait faire parti des langues nationales car en Mauritanie, il existe une composante communautaire – aussi petite de taille qu’elle soit – ayant pour langue le bambara. Cette partie de la population se sent, injustement, délaisser. Dans l’article précédent, j’ai largement étalé les conséquences de la négligence d’un peuple et de ses valeurs identitaires. Donc, pour faire de l’économie, je m’abstiendrais d’y revenir. Pourquoi ne pas reconnaître officiellement et donner à la population bambara ce qui lui est dû ? Que gagne-t-on de cet évincement ? La morale kantienne oblige, mettons-nous à leur place pour avoir une (toute petite) idée de ce que cela pourrait nous faire avant de les leur faire vivre, de les exclure. Que les bambaras soient des mauritaniens, cela ne doit point être inquiétant ou étonnant du moment où la Mauritanie est un pays frontalier avec le Mali au même titre que le Sénégal (avec le wolof), le Maroc et l’Algérie ( avec l’arabe). Dans certaines localités, même si elles sont comptées - par exemple au Néma - le bambara est utilisé comme langue de communication au marché par exemple. Pourtant, il s’agit de la Mauritanie, on est toujours sur sa terre et non de l’autre coté de la frontière. Abordant la deuxième question : est-il pertinent d’écrire dans une ou des langue(s) manié(es) juste par l’élite et incomprise(s) ou inaccessible(s) à une partie importante de la population ? Pour répondre à cette question, je fais appel à l’un des grands intellectuels africains contemporains, Boubacar Boris Diop, qui rappelle que l’Afrique est le continent où l’on publie des œuvres dans des langues que l’on ne comprend pas. Par là, il évoque l’importance d’écrire dans les langues nationales pour plusieurs raisons. Aussi, ne dit-on pas que l’enfant devient plus intelligent quand il débute ses études dans sa langue maternelle ? Ne faudrait-il pas tenir compte de cela ? Au même titre que Toka Wagui Diagana, je dirai qu’il « n’y a pas de raison que le Pulaar, le Swahili, le Yuruba, le Soninké et le Wolof soient enseignés dans plusieurs universités américaines (Columbia University, Indiana University, University of Wisconsin, Howard University, Morgan State University,...etc.) et qu’elles ne le soient pas dans nos universités et en particulier à l’Université de Nouakchott.» (4) Les autres apprennent nos propres langues, les maîtrisent mieux que nous et les utilisent pour y travailler et se développer. Durant ce moment, nous, on les néglige ou, plutôt, n’y colle pas une certaine importance. J’ajouterai à cela que chez nos voisins sénégalais, auxquels nous pouvons oser nous comparer, je suppose, ils enseignent à l’Universié Gaston Berger de Saint-Louis certaines langues nationales. Pourquoi ne pas faire de même en Mauritanie en commençant par le début, c’est-à-dire par le primaire comme il fût, d’ailleurs, le cas avant de rompre avec cette expérience de l’enseignement des langues nationales. C’est vrai que ce n’est pas aussi évident que cela compte tenu du fait que le problème des langues d’enseignement (arabe ou français) n’est pas encore résolu et, aussi, cela demande un budget. Mais avec la volonté, la détermination, le sacrifice et l’établissement d’un bon projet, la Mauritanie pourrait y parvenir et en avoir de bons résultats. L’éducation et la paix n’ont pas de prix. Au terme de ce texte, à mon avis, ce qui serait plus sérieux et sincère, c’est de reconnaître que le hassanya, le peulh, le soninké, le wolof et le bambara sont les langues nationales de la Mauritanie. Autrement dit, la Mauritanie devrait être dotée de cinq langues nationales : celles citées. A travers ces deux articles, j'ai montré en quoi, selon moi, la politique linguistique (ou la politique des langues), en Mauritanie, est non réfléchie. Un pays avec une petite population et quelques ethnies et langues (beaucoup moins de dix) ne parvient pas à garder l'équilibre, à vivre paisiblement. Et si, comme certains pays, on avait cent à deux cent langues voire plus où en serait-on ? Je ne me l'imagine pas... ''Notre guerre'' des langues, de cinq à six langues, me suffit largement. Comme conclusion aux deux textes sur ‘‘Une politique linguistique non réfléchie’’, ce que je propose, c’est que l’article 6 de la constitution mauritanienne, qui stipule que « Les langues nationales sont : l’Arabe, le Poular, le Soninké et le Wolof. La langue officielle est l’Arabe. », soit revisité et substitué par : « Les langues nationales sont : le Hassanya, le Poular, le Soninké, le Wolof et le Bambara. Les langues officielles sont l’Arabe et le Français ». En toute conscience, en toute honneteté, en toute sincérité, en toute neutralité (en rangeant et oubliant son appartenance ethnique, raciale, communautaire…) et en toute objectivité, ne pensez-vous pas que cela (le substitut) soit plus correct et juste ? En fin de compte, chacun ne se retrouverait-il pas dans ce pays ?
Rassurez-vous, je ne vis pas dans ou de l’utopie. La vérité finit toujours par éclater et la justice par émerger et cela, quelqu’en soit la lenteur : toute chose, notamment l’injustice, connait une fin . L’Histoire retient nos attitudes et nos actes. De nombreux exemples, à travers le monde et la Mauritanie même, le confirment. Alors, que les leaders tâchent d’être quittes avec leurs consciences en remplissant objectivement et honnêtement leurs différents rôles. Quel est l’intérêt de la Mauritanie à continuer à se diviser sur la question des langues après cinquante trois (53) ans indépendance ? Cinquante trois (53) ans, ai-je-dit, d’indépendance ? Si la question des langues s’était réglée, comme il le faut, serions-nous toujours au même stade entrain de polémiquer sur ce genre de sujets ? Bien sûr que non ! Le règlement définitif de la question linguistique, question fondamentale, réglerait nombreux maux dans ce pays. Le jour où la Mauritanie accepterait et adopterait sincèrement cette philosophie (la reconnaissance officielle de deux langues officielles et de cinq langues nationales : toutes institutionnalisées), je saurais et, dirais en criant de joie, ce jour-là, que mon pays a connu une renaissance, une vraie renaissance, une vraie ouverture, une ouverture d’esprit, une acceptation de l’autre (identique ou différent, peu importe), une considération de l’autre, un respect pour lui… Réveillons-nous chers compatriotes ! Réveillons-nous ! Il est, même si c’est tard, encore temps ! Baye Tidiane DIAGANA. Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir. 1. http://cridem.org/C_Info.php?article=644982 2 et 3. Document rédigé par la Coordination des Associations culturelles nationales, Pour un système éducatif intégrant les langues nationales, février 2011, p 6 4. Toka Wagui Diagana, Hebdomadaire Indépendant d’analyses et d'informations -N°172 du dimanche 10 FEVRIER 2013 |
Lundi, 15 Juillet 2013 01:01 |