Les amendements constitutionnels, issus du dernier dialogue de novembre 2011, organisé entre la majorité présidentielle consolidée et quatre partis de l’opposition –APP, El Wiam, Sawab etHammam – ont finalement été tous appliqués.
Il fallut pour cela beaucoup de colère et de protestations de la CAP, avant que le pouvoir n’accepte, enfin, de les mettre en œuvre. Un de ces amendements, celui relatif à l’incompatibilité, aura particulièrement traîné, dans les couloirs du Sénat, d’abord, et de l’Assemblée Nationale, ensuite.
Le texte a pour objectif de mettre hors-jeu de la politique une catégorie de fonctionnaires dont les manœuvres, souvent dilatoires, remettaient totalement en cause la crédibilité des opérations électorales.
L’argent public, les moyens de l’Etat, le trafic d’influence, la mobilisation de l’Administration au profit des gens du pouvoir, rien n’était de trop pour faire plancher la balance en faveur des candidats du pouvoir, dans toutes les consultations.
Ainsi, quelque fût la popularité d’un parti de l’opposition et son ancrage, ses candidats se faisaient battre, à plate couture, par n’importe quel postulant présenté par le régime. Théoriquement, ce texte de l’incompatibilité de certaines fonctions étatiques avec la pratique politique devrait permettre d’assainir la scène et d’organiser des compétitions beaucoup plus saines.
Mais on n’est pas loin du temps où l’Inspecteur Général d’Etat conduisait des missions de sensibilisation pour le compte de l’UPR. Tandis que de très hautes autorités civiles ou militaires battent, aujourd’hui même, campagne ou délient les cordons de la bourse, pour débaucher les militants de certains partis de l’opposition.
On est encore, également, au temps où les autorités administratives et de sécurité ne servent que de canaux de renseignements au service du parti au pouvoir. Les fameux Bulletins de Renseignements (BR) et autres rapports top-secrets ont toujours pignon sur rue.
A titre d’exemple, les distributions gratuites de produits alimentaires sont souvent soumises à des critères dont l’allégeance au parti au pouvoir n’est pas le moindre. Il y a quelques semaines, le député de Nouadhibou, Boudahiya Ould Sb’aï, dénonçait, publiquement, ces pratiques, dans un débat télévisé, face à un collègue de l’UPR.
Dans le même ordre de choses, plus de 99% des hautes fonctions de l’Etat reviennent, comme de droit, aux applaudisseurs et aux laudateurs dont beaucoup n’ont que rarement, hélas, le bagage adéquat pour assumer convenablement les missions qui leur sont dévolues. Cette sélection déplacée a le désavantage de priver le pays de hautes compétences dont la seule faute est d’avoir choisi de militer à l’opposition.
En cela, la Mauritanie est atypique. Pour justifier cette préjudiciable incongruité, certains hauts responsables étatiques vous diront que l’opposition doit s’opposer et que la majorité doit gouverner… avec ses nullités, s’entend. C’est le cas partout.
La presse qui n’est pas au pas n’a droit à rien : ni voyage avec le Président, ni abonnements avec les institutions publiques ni aucune autre faveur ou facilité. Les rares hommes d’affaires qui ont le courage de ne pas marcher sont, généralement, privés des marchés publics et des arrangements fiscaux.
Les organisations de la Société civile qui ne font pas le panégyrique du système et de son Président apprennent, à leurs dépens, qu’il faut bien « s’assagir », si l’on veut exister, institutionnellement et économiquement.
Aujourd’hui même, cette incompatibilité ne semble pas encore fonctionner normalement. La preuve. Quelque part, tout près d’Aleg, vers Cheggar, un général en congé de dix jours fait, publiquement, de la politique et s’en réclame fièrement. Avec son tracteur, il édifie digues et barrages, pour les collectivités militantes de l’UPR.
Aux notables de ces collectivités, il distribue des prébendes, en espèces et en nature. Il se permet, même, selon certains responsables locaux d’El Wiam, des déclarations scandaleuses, style « Je suis plus payé qu’un ministre » ou « nous avons bien renversé Sidi Ould Cheikh Abdallahi », ou encore, « je fais bien de la politique, pourquoi n’en ferais-je pas ? »
L’amendement constitutionnel sur l’incompatibilité n’est qu’un leurre. Rien que de la poudre aux yeux. Juste bon à tromper les crédules. La Convention pour une Alternance Pacifique (CAP), une opposition modérée, a, plusieurs fois, dénoncé, à travers divers communiqués, la violation flagrante de cet amendement sur les incompatibilités.
Quand des hakems de moughataa rendent visite à un ministre en villégiature dans sa petite localité, c’est de la courtoisie ou quoi ? Que sont venus chercher les préfets de M’Bagne et de Bababé, chez Thiam Diombar, il y a quelques semaines, à Wothie ? Le wali du Brakna et quasiment tous les chargés de la sécurité sur le plan régional ont dégusté un bon méchoui, avec le généralMohamed Ould Megett, à Cheggar.
Encore cette élastique notion de courtoisie où l’on fourre tout : comptes-rendus, renseignements, orientations, redéploiement de stratégie, cadeaux… Avec quatre généraux, un administrateur directeur général de la SNIM et un ministre des Finances, le Brakna a intérêt à bien assimiler ce concept d’incompatibilité, à quelque seulement deux mois des élections législatives et municipales du 23 novembre 2013.Mais de quelle incompatibilité s’agit-il ? De celle des militaires qui ne fait « ni sécher la Tadit [récipient servant à traire], ni mourir le veau » ?
Sneïba El Kory
Source : Le Calame (Mauritanie)via:http://www.cridem.org |