Mémoire noire, un film inédit et un élément important de la reconstitution de l’histoire nationale de la Mauritanie |
Le film d'Ousmane Diagana, Mémoire Noire, a été projeté, pour la première fois en France, à Paris, ce samedi 02 novembre 2013.
Les gens venus suivre ce film ne sont pas restés indifférents. Certains n'ont pas pu retenir leurs larmes, d'autres étaient remplis d'émotions, d'autres encore énervés, révoltés face à certains propos ou images... « Nul n'a le droit d'effacer une page de l'histoire d'un peuple, car un peuple sans histoire est comme un monde sans âme» dit avec raison Alain Foka. Dans cette logique, l'histoire authentique de la Mauritanie ne peut être mise en lumière qu'en se référant, sans tricherie et mensonge, à toutes les pages – sombres et joviales - qui l'ont constituée. Et le film d'Ousmane Diagana, Mémoire Noire, retrace, ‘‘relis’’ une page douloureuse de l'histoire de la Mauritanie. Alors, il se présente comme une sorte d'élément de reconstitution de ce qui s’est passé dans les années 90 et 91 à Inal, lieu où plus de cent cinquante mauritaniens sont morts, d'après Sy, par torture, pendaison, tires de balles, peur... L’acteur principal de ce film est Mahamadou Sy, l’un des rescapés d’Inal qui est, aussi, l’auteur d'un ouvrage intitulé « L’enfer d’Inal ». Dans le film, Sy raconte cette histoire avec difficultés voire, parfois, en pleurs malgré les efforts fournis. Une histoire, un cauchemar qui commence à Nouadhibou, se poursuit à Inal et, prend «fin » à Djerba. Le récit relaté par Sy pourrait se présenter, se résumer aux lignes suivantes Ayant toujours porté un intérêt particulier pour l’armée afin de servir sa patrie, Sy s’y engage en 1978 et participe à la guerre du Sahara... Craignant une éventuelle prise de pouvoir par les négro-mauritaniens, qui occupaient une importante place au sein de l’armée, la volonté de les éliminer se présente, hante et nourrit l’Etat en place, chapeauté par Maaouiya Ould Sid Ahmed Taya.
Ainsi, le 10 novembre 1990, Sy est arrêté à Nouadhibou par un capitaine, nommé Ould Sid’Ahmed, sans en savoir la raison… Etant mis dans une cellule, la nuit, un lieutenant, qu’il connaissait, vînt le voir accompagnés de soldats armés... Il lui demanda ce qui se passait et il lui dit qu’il ne faisait qu’exécuter des ordres reçus... Alors, on lui retira son ceinturon, ses galons, ses chaussures, attacha ses mains, banda ses yeux et le présenta à deux officiers. En les voyant, il s’en était réjoui car il les reconnaissait, ce sont ses anciens collègues. Il se dit qu’enfin, il serait informé de ce qui se passait, du motif de son arrestation. Mais ces gens - qu’il a eus à connaitre - l’ont regardé avec un air méprisant et, lui ont parlé avec un ton sec.... Par la suite, on lui demande de raconter. Et il demanda ce qu’il devait relater car il ne comprenait pas de quoi il s'agissait. Alors, il fût étranglé plusieurs fois par un ceinturon tiré des deux cotés par ses deux anciens collèges. N’ayant toujours rien dit, comme souhaité par ses étrangleurs, ces derniers sortirent alors du lieu demandant aux soldats de prendre soin de lui. Et ces derniers le torturèrent au point de perdre connaissance… Le 11 novembre 1990, il quitte Nouadhibou. Il est emmené à Inal avec d’autres personnes... Le 23 novembre 1990, vers 17h, 18h, le caporal-étrangleur rentra dans le lieu où il se trouvait avec d'autres prisonniers. Il avait des bandeaux pour attacher leurs yeux afin qu’ils ne puissent reconnaître leurs tortionnaires respectifs : c'était la panique et la peur. Ils ont été attachés derrière des voitures par derrière. Et celles-ci ont démarré en les traînant… Ensuite, durant « toute la nuit, des soldats passeront pour nous insulter, torturer en disant qu’il n’y aurait pas un seul noir qui resterait dans l’armée » pour reprendre les termes de Sy. Le 27 novembre 1990, vers 17h, à Inal, on a fait sortir les prisonniers de leur hagard et certains d’entre eux furent marqués par une croix. S’étant inquiété, quelqu’un demanda plus d’informations sur ces marques et un sous officier répondit que les personnes marquées allaient être emmenées dans d’autres lieux… Cela ne fût pas le cas car vers 00h, les personnes ciblées étaient mis de coté. A ce moment là, ils ont commencé à les pendre, à les tuer. Face à ces atrocités, cinq personnes, prises par une forme de « frénésie » sont mortes...
Le 05 mars 1991, on les a faits sortir de la prison, les a embarqués dans un camion et les a emmenés vers Djerda où ils rencontrèrent, pour la première fois, une autorité dont le procureur de la République qui leur apprit qu’ils étaient accusés de complot en vue de faire un coup d’Etat... Pour une première fois, les incarcérés savaient, enfin, la raison de leur détention. On dira alors, logiquement, que certains sont morts sans en savoir le mobile... Le procureur leur dit qu’il devait, chacun, choisir un avocat pour leur procès. Ce dernier ne verra jamais le jour d'ailleurs... Ainsi, le 15 avril 1991, le capitaine commandant de base leur apprend une nouvelle, disons, une "bonne". Selon Sy, il a parlé en ces termes : « Le Chef de l’Etat vous a graciés à l’occasion de la fête du ramadan…», « vous êtes pardonnés…». Face à ces propos, ils sont restés «un peu hagards »… Sy n’en revenait pas au point de se demander comment cela était possible après tout ce calvaire (infondé) vécu. En ces termes : « Attendez, nous, on a rien fait. On a été arrêtés, humiliés, et, certains, tués et c’est nous qu’on pardonne !? ». Et à l’annonciateur d’ajouter que le chef de l’état major dit qu’en « bons musulmans, il faut oublier»… Après leur libération, ils se sont retrouvés avec leurs tortionnaires entrain de faire la prière, de pendre du thé voire de manger ensembles... : chose extraordinairement incroyable. Au retour chez eux, ils eurent des congés à l’occasion de la fête... Après cela, quand ils partirent à l’Etat major, comme prévu et afin de reprendre leurs activités professionnelles, euh bien, on leur apprît qu’ils ont été remerciés, licenciés pour « mauvaises manières de service » selon le ministre de la défense... Si ces rescapés ont pu échapper à la mort à Inal, c’est grâce à un sous-officier originaire de Rosso. Ce dernier était envoyé par la France pour effectuer un stage en Mauritanie. Ayant pris conscience de ces pratiques, il a dénoncé, à travers les médias, ce qui se s'y passait… A la suite de cet écho voire pour légitimer ses actes, Maaouiya a dit, dans un discours, que le pays est comme un arbre, il faut le secouer pour faire descendre, tomber les mauvaises feuilles et branches… Et pour Sy, logiquement, ce sont eux ces branches et feuilles mauvaises... Torturé, injurié, humilié et ayant assisté à la mort de nombreuses personnes qu’il a connues à Inal, Sy regrette que le camp de torture et de meurtre d’Inal soit transformé en un terrain de football sur lequel des enfants mauritaniens jouent. Des enfants qui ne connaissent probablement pas la véritable histoire de ce lieu, sa véritable mémoire. D’après lui : « tout est effacé à Inal ». Il rappelle qu’il faut faire la part des choses en ne culpabilisant que les bourreaux et non les autres, non leurs enfants... Sy soutient aussi qu’il doit avoir un « rétablissement de la vérité » et une « justice rendue ». Ainsi, se résume et prend « fin » le calvaire de Sy, celui d’Inal ou encore celui des années de braise. Mais a-t-il réellement pris «fin » ? N’hante t-il pas toujours la conscience des mauritaniens ? Qu'en est-il de la mémoire et de sa reconstitution ? Les vérités mauritaniennes seront-elles connues, établies ? Les coupables seront-ils jugés ? Payeront-ils pour ce qu'ils ont fait ? Comment est-ce que tout cela a-t-il pu se passer ? Qu’a-t-on fait de l’humanité ? Qu'a-t-on fait de l'appellation de la République "Islamique" de Mauritanie ? Comment en période de ramandan, a-t-on pu injurier, torturer et tuer ses frères, ses voisins, ses compatriotes ? Tant de questions que l'on se pose en espérant que "tout" sera un jour élucidé comme dans certains pays. Ce film audacieux, réalisé par Ousmane Diagana avec la volonté de Mahamadou Sy afin de faire connaitre des moments choquants, frustrants de la Mauritanie, et le livre de Sy – L’enfer d’Inal - doivent être considérés comme des éléments de la reconstitution de l'histoire nationale. Cela parce qu'ils nous informent sur une page de l'histoire d'un pays qui ne devrait pas être, en aucun cas, supprimée comme le dit Alain Foka. L'absence ou la modification d'un élément de reconstitution, aussi petit qu'il soit, pourrait rendre toute l'histoire biaisée. Baye Tidiane DIAGANA. Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir. |
Jeudi, 07 Novembre 2013 19:21 |