Prémices d’un dépérissement politique |
Qui n’a pas observé autour de soi ou à partir de sa propre expérience la vérité de cette formule de Stefan Zweig. Nostalgie de la fleur de l’âge quand on aborde la séquence crépusculaire de l’existence. Nostalgie de ses vingt ans quand le physique commence à décliner, la santé à défaillir, l’enthousiasme et la passion à s’émousser ; c’est le fameux « Si vieillesse pouvait... » : un brin de nostalgie ; une manière de convoquer sa jeunesse pour la revivre mentalement.
Il existe des nostalgies qui expriment l’impuissance et la résignation. Elles sont ressenties lorsque l’on est démuni, faute de moyens, face à une situation, à un événement. Alors nous revient en souvenir ce passé où les moyens physiques ou matériels, le pouvoir ou l’influence permettaient de faire face. Il en est qui expriment soit l’attachement à un passé fait de faits d’armes ou de bonheur, soit l’envie débordante de retrouver des êtres chers, des lieux familiers… Ces nostalgies-là et cette façon d’invoquer et de convoquer le passé sont consubstantielles à la nature humaine. Elles s’entendent, nous sommes là dans l’ordre normal des choses, pourrait-on dire.
Il en est d’autres qui, quand elles sont portées par des militants, des organisations ou des partis politiques et font référence à un parcours politique, annoncent sinon une agonie, du moins un dépérissement politique. Ces nostalgies-là sont plutôt dévastatrices, car là on n’a pas seulement affaire au passé, au présent et au devenir d’une personne mais à ceux d’une cause, d’une organisation, d’une collectivité ou d’un pays.
On observe de plus en plus chez certains militants, se réclamant de l’opposition, une fâcheuse propension à convoquer sans cesse et à mauvais escient le passé en déterrant, pour les exhiber, les petites et grandes gloires qui s’y rattachent. Et faute de nouvelles conquêtes à offrir, on en est réduit à sacraliser les anciennes, qu’on fête avec tambour et trompette, à chaque saison. On n’a plus d’yeux que pour le passé qui, pour élogieux et éblouissant de courage politique et de sacrifices qu’il soit, ne confère ni légitimité définitivement établie, ni inamovibilité dans l’exercice de certaines fonctions. Pas plus qu’il ne constitue une garantie absolue d’une victoire certaine. Ce passé politique, à force de le reluquer, de n’avoir d’yeux que pour lui, on laisse le présent filer, quant au futur, n’en parlons pas. Au lieu de prendre le présent en charge et penser l’avenir, plus que jamais incertain du fait des innombrables dangers qui nous entourent, en définissant à chaque tournant de la lutte les vrais enjeux qui émergent, les formes de lutte et d’organisation appropriées et les conduites politiques à adopter, on plastronne à coups de slogans pompeux, d’aphorismes et de citations souvent utilisés à contresens. Mots d’ordre de rassemblement et signes d’identification deviennent leitmotiv, et même programme d’action. Documents historiques et de référence sont parfois tronqués, textes fondateurs réduits à de ridicules antiennes à force d’être exhibés à mauvais escient. Pathétique signe d’un déficit de fécondité politique et idéologique, prémices d’une décrépitude politique. Affichage et blablas médiatiques ont statut de mode de « communication ». On ne semble plus vivre que des faits d’armes du passé, dont certains sont édulcorés, voire embellis sinon falsifiés. Ils sont présentés à toute occasion, voire quotidiennement, comme s’ils étaient réponse à tout, comme si leur simple évocation apportait solution aux problèmes actuels et futurs. Comme s’ils octroyaient à leurs auteurs une honorabilité inaltérable. Les petites histoires viennent se substituer aux épisodes de l’Histoire. Esbroufe, effets de manches, autosatisfaction juvénile deviennent méthodes de « communication » et s’installent là où on devait voir et lire analyses approfondies des situations et événements politiques, études factuelles et enquêtes sur des réalités politiques, sociales, économiques...
Cette bizarrerie, qui est une forme de narcissisme politique inavouée, sous ses manifestations actuelles n’est peut-être pas nouvelle. Sans doute longtemps refoulée, Internet et les réseaux sociaux, espaces propices au « m’as-tu vu » en boucle et à l’omniprésence oisive, l’ont amplifiée et rendue plus visible. Les amateurs de cette forme de communication et de militantisme de mauvais aloi doivent certainement y trouver un ou des motifs de délectation. Tant mieux pour eux…Quand le fond n’est pas au point, on fait étalage de la forme et du superficiel ; histoire de sauver les apparences et de se donner bonne conscience. Cela s’entend, mais cela ne dure pas. Car l’essence des choses finit toujours par émerger et prendre le dessus sur leur apparence. On a beau comprimer l’odeur pestilentielle, elle finit toujours par envahir les narines. Autant y mettre de l’hygiène à temps. Aussi, puissent-ils, les tenants de cet activisme primaire, entre deux séances de « m’as-tu vu » et d’esbroufe, faire de cette lapalissade l’objet d’une petite corvée méditative : quel que soit le domaine de l’activité humaine considéré, il n’y a jamais eu d’œuvre ou d’entreprise dignes de ce nom, grandes ou petites, conçues et conduites dans l’espace public, fût-il virtuel ou réel. Les grandes entreprises, les réalisations majeures, les transformations décisives, y compris dans le domaine politique, avant de se produire et d’apparaître au grand jour, ont toujours été pensées, conçues et façonnées loin de tout espace public, hors de l’immédiateté, et sans forfanterie et bla-bla quotidien.
Autre problématique, en l’occurrence, qui mérite une réflexion poussée : mourir, pour la personne humaine comme pour une organisation, qu’elle soit politique ou des droits humains, n’est jamais agréable ni à entendre, ni à subir. Mais quand l’agonie s’éternise dans la douleur inouïe, pour le malade la mort devient délivrance ; pour les organisations, elle peut et doit leur permettre de renaître de leurs cendres. C’est-à-dire mettre et « se mettre ») en question – profondément. Ayons la lucidité et le courage de nous soumettre à cette option, si le salut passe par là. Ce qui, de toute évidence, semble bien être le cas. D’ici là, tam-tam et bla-bla, esbroufe et pantalonnades, en voulez-vous, mesdames, mesdemoiselles, messieurs, chers amis ? Eh bien ! en voilà. À gogo.
Boye alassane harouna
17 mars 2014
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Mercredi, 19 Mars 2014 12:45 |