L'édito de MFO |
Avril 1989, le 9… un jour qu’il faut rappeler à la courte mémoire de nos compatriotes. Ce jour-là arrive un malheur du côté de Diawara, sur les rives du fleuve Sénégal, sur ce qu’il est convenu d’appeler «la frontière» et qui n’a jamais eu d’existence réelle dans l’esprit des habitants. Quelques bêtes errantes appartenant à des transhumants peulhs pénètrent dans les champs de quelques agriculteurs soninkés
. On en vient aux mains et même aux armes. Il y a mort d’homme. Les Peulhs sont mauritaniens, les Soninkés sont sénégalais. Le mort est soninké… Ce sera le point de départ de la plus grande crise dans la sous-région.
Nous ne devons pas oublier que ce qui a été, au départ, un incident «banal» entre éleveurs et cultivateurs d’une population qui avait les ressorts de règlement de conflits autrement plus compliqués, cet incident devait ouvrir une plaie qu’il faut encore guérir aujourd’hui. 22 ans après, nous avons besoin de nous remémorer ces moments tragiques qui ont vu des dizaines de milliers de nos compatriotes déguerpis de leurs terres, spoliés de leurs biens… Il aura fallu 20 ans – ou presque – pour les voir revenir dans des conditions minimales de dignité et de reconnaissance du mal fait. Il aura fallu attendre tout ce temps pour qu’une autorité demande pardon au nom de la Nation fautive. Nous ne devons pas oublier comment un incident «anodin» parce que quotidien, a tourné au drame. Par la faute de la propagande raciste et sectaire. Par la faute de gouvernements aux aguets, de gouvernements qui ont vu dans la crise ouverte la possibilité pour eux de capitaliser les relents nationalitaires. Trouver ici et là un bouc-émissaire, un punching-ball pour vider le trop plein d’amertumes et de colères populaires justifiées. Les relations entre les deux peuples et entre les deux pays sont devenues un enjeu politique intérieur. Pour les pouvoirs en mal de performances, et leurs oppositions en mal de popularité. Dans ces cas, cultiver la haine devient facilement une voie de légitimation de l’action politique des protagonistes d’une scène désaffectée par le bon sens et la vertu. On a tendance à dire aujourd’hui qu’il importe peu de situer les responsabilités. Soit. Mais nous ne pouvons passer sous silence l’événement : ses causes, ses manifestations et ses conséquences. Les mêmes logorrhées qui l’ont produit sont toujours en vigueur. Les mêmes facteurs qui l’ont envenimé réapparaissent. Convulsions et menaces de convulsions. Crises et menaces de crises. Qui ? plus que l’autre – qui qu’il soit et surtout s’il est celui d’en face -, va souffrir des échecs de soi, des frustrations, des incohérences… l’Enfer, c’est encore l’autre, c’est toujours l’autre… Nous ne devons pas oublier que cette déchirure physique et mentale est le fait d’une vision sectaire de la Mauritanie. Elle a été l’œuvre d’une classe politique qui – toutes composantes confondues – a tout raté : de l’idéal révolutionnaire à celui de la construction nationale en passant par celui de l’intégration régionale… La Mauritanie en est sortie meurtrie, il faut le rappeler. Tournant le dos momentanément – on l’espère encore – à ses versants africains, elle a été (naturellement) incapable de se faire une place «honorable» au sein de la famille arabe. L’extravagance dans les approches et l’instabilité des visions y sont pour quelque chose. Mais le plus dur restera l’incapacité pour les autorités de l’époque de s’empêcher d’instrumentaliser la situation en vue d’atténuer les contestations politiques intérieures. Les cycles de répression qui allaient s’abattre sur les acteurs politiques furent fondés sur l’urgence de faire face aux périls sectaires (tantôt négro-africain, tantôt arabe). Juste des prétextes. Aujourd’hui que certains chantiers ont été ouverts ou en voie d’être clôturés (retour des déportés, règlement des passifs…), et que notre environnement géopolitique est secoué par de fortes vagues de changement, nous avons à nous dire que seules des réponses politiques peuvent être apportées aux problèmes politiques. La violence ne peut être la panacée. Au contraire, elle complique les donnes, enracine les haines, élargit les fossés, approfondit les déchirures et accentue les douleurs. Regardons ce qui se passe aujourd’hui près de nous, en Côte d’Ivoire, en Libye, en Palestine, un peu plus loin au Yémen, en Syrie et au Bahreïn… quand le sang coule, ce sont toutes les voies possibles de la Raison qui se perdent. En Mauritanie, nous avons la chance – encore – de pouvoir faire ce que nous voulons de notre avenir. Mais jusqu’à quand ? Plus nous tardons à anticiper, à nous ouvrir les uns sur les autres, plus demain sera difficile. Agir et vite. Voir et loin, toujours plus loin. Commémorer aussi et encore, pour ne pas retomber dans les mêmes pièges, refaire les mêmes erreurs. Apprendre du passé pour conforter le présent et assurer l’avenir. Ne pas oublier qu’il y a 22 ans, arrivait chez nous ce que personne ne pouvait imaginer. Parce que notre intelligentsia et notre pouvoir ont été «courts», «trop courts»… La Tribune N°545 du 11 avril 2011 |
Lundi, 11 Avril 2011 10:57 |