Poussé dans ses derniers retranchements, le pouvoir yéménite cherche à créer le chao. En provoquant une guerre civile dans un pays profondément tribalisé d’une part, et en actionnant les cellules d’Al Qaeda d’autre part. En effet le pouvoir yéménite vient d’ordonner à son armée de se retirer de la ville de Zenjibar au profit des éléments de l’organisation jihadiste. C’est un dernier coup d’un pouvoir usé et incapable d’intelligence. Mais là n’est pas l’objet de mon propos.
Il y a de multiples enseignements à tirer des révolutions arabes. Quoi que nous disions ou fassions, nous resterons en-deçà des questions posées et des analyses possibles. Il faut donc multiplier l’évocation de sujets de méditation.
Ces révolutions sonnent, quelque part, le glas des idéologies nationalistes et des réflexes nationalitaires. Dans des pays comme la Libye et le Yémen, l’idéologie motrice du devenir a été le nationalisme arabe. C’est au nom de la nécessité de préserver la Nation arabe que toutes les dérives ont été possibles. C’est toujours au nom de cette idée, que les services de sécurité pouvaient sévir, réprimer dans le sang toute velléité de s’assumer. Toujours en son nom que les richesses ont été dépensées inconsidérablement.
Les régimes nourris de ce prétexte ont été les plus sanguinaires des dictatures arabes. C’est un constat.
Mais ce qui est écœurant en plus, c’est que ces régimes ont été catastrophiques en terme d’intégration et de cohésion sociales. Qu’est-ce qu’on découvre en Libye ou au Yémen ? Des sociétés éclatées, profondément tribalisées. Des pouvoirs qui ont fait de l’appartenance tribale un critère d’identification et de regroupement.
Le crime de ces régimes, ce n’est pas seulement d’avoir pillé leurs pays en s’appropriant ses ressources, pas seulement d’avoir réprimé dans la violence toute contestation, ni d’avoir aussi prostitué la morale corrompant du coup le comportement social… pas seulement cela. Le crime, le crime c’est d’avoir cultivé les particularismes tribaux, instituant l’atomisation de la société et condamnant à jamais leurs Nations à l’émiettement.
Par bien des aspects, je retrouve un peu de nous en Libye et au Yémen. Avec cette différence heureuse : je crois que le fait d’avoir opté pour un Etat centralisé moderne dès l’indépendance a beaucoup aidé dans la manifestation publique des sectarismes dans leur expression élémentaire.
C’est certainement le lieu de rendre hommage à l’élite des années 60 qui avait fait ce choix-là. Même si dans la pratique, le népotisme subsiste, même s’il y a encore de profondes fractures sociales qui sont une plaie à soigner, aucun Mauritanien ne peut exprimer publiquement son appartenance tribale et/ou ethnique. Il essayera toujours de «l’entourer», de «l’envelopper» pour la rendre moins visible. C’est sur cette «honte» qui est restée malgré tout ce que nous avons enduré, sur cette «honte» d’exprimer son particularisme qu’il va falloir reconstruire la bâtisse de l’ensemble national.
L’urgence pour nous et de nous réapproprier l’ambition originelle, celle qui a animé les pères de l’indépendance. Celle qui visait à créer un Etat pour tous et par tous.
L’ambition qui fondait une société égalitaire, un Etat citoyen, une justice pour tous, une croissance pour tous, une école pour tous, une santé pour tous, des infrastructures pour tous… une ambition qui permettait à chacun de rêver, qui lui donnait le droit de rêver, l’occasion de s’épanouir, la possibilité d’être, et d’être soi-même.
Si l’on arrive à croire en notre pays, en notre peuple, en notre capacité de vaincre les aléas et d’aller de l’avant, si l’on arrive à nous armer d’une ambition, chacun à son niveau, d’une ambition pour notre pays, si l’on refuse cette impression de vivre une fatalité qui consiste à subir sans réagir, à consommer sans produire, à recevoir sans donner…, alors seulement nous pourrons nous dire que nous sommes et que nous pouvons être autre chose que ce que nous sommes. Nous saurons alors avancer. Et progresser.
MFO
La Tribune N°551 du 30 mai 2011 |