Le populisme a connu, pendant les deux dernières décennies, une ampleur considérable au niveau de la scène politique internationale. Après le Péronisme, en Amérique Latine, nous avons assisté à l’accession, au pouvoir, de nouveaux leaders, non moins charismatiques, se réclamant, de ce courant dont les plus marquants sont le vénézuélien Chavez et le bolivien Morales.
Le phénomène de droitisation de la vie politique, en Europe, a été porté, principalement, par des partis et des personnalités étiquetés comme populistes. On cite, notamment, Berlusconi en Italie et Marine Le Pen en France. La montée en flèche de ce courant politique a suscité l’intérêt chez bien des chercheurs et analystes politiques. Elle a fait, justement, l’objet de plusieurs publications, notamment celles des trois spécialistes : Yves Mény, Alexandre Dorna et Yves Surel.
Cet article restitue, pour une part non négligeable, une synthèse des idées et conclusions pertinentes de différentes publications sur ce sujet. On définit le populisme comme un courant politique qui s’érige en représentant des intérêts d’un peuple victime de la spoliation infligée par l’élite des gouvernants, par le grand capital et par des privilégiés qui ont accaparé égoïstement les richesses d’un pays. Il met, d’emblée, en accusation les petits groupes d’intérêt particulier de la société qui, parce qu’ils détiennent un pouvoir, se voient attribuer la responsabilité des maux de la société. On peut dire qu’il déroute et désarçonne souvent, d’ailleurs, les analystes politiques par, non seulement, son anticonformisme, mais aussi par sa transversalité. « C’est son caractère « pluriclassiste » et transversal qui le rend capable de traverser les clivages politiques classiques ». Drainant les courants les plus antagonistes de l’extrême-gauche à l’extrême-droite, il peut aussi se développer au sein des organisations et des régimes, des classes et des formations politiques les plus variées » (1). En Amérique Latine, il est plutôt gauchisant, encore que, parfois éclectique. En Europe, par contre, il est de droite, voire fascisant. Il ne saurait évidemment être question de renvoyer, dos à dos, ces deux catégories de populisme, dont les valeurs sont, pourtant, radicalement opposées. Mais, pour les besoins de l’analyse, nous aborderons ce qu’elles ont en commun. L’objectif affiché du populisme est de retirer l’appareil d’État des mains de ces élites égoïstes, voire criminelles, pour le « mettre au service du peuple ».
Causes et Origines du populisme
Le populisme n’est jamais le fruit d’un hasard ou d’un accident inexplicable de l’histoire d’une Nation. Il répond toujours à une demande de changement politique et social latent dans un pays. Il intervient, d’abord et, avant tout, comme l’expression d’un ras-le-bol, d’une exaspération largement partagée et induite par une situation marquée par une crise sociale profonde. C’est, généralement, une réaction énergique, sans être violente ou « explosive », à des pratiques abusives exacerbant les facteurs d’indignation dans une société. Plusieurs analystes assimilent cette réaction à « l’échec des institutions chargées d’assurer l’intégration (familles, écoles, entreprises, syndicats, partis politiques) d’une population qui doit s’adapter aux exigences de la modernisation accélérée. » (2) Elle constituerait ainsi le rejet des dérives de certaines démocraties représentatives naissantes qui se laissent aller à des préoccupations électoralistes, sécuritaires et parfois même à la satisfaction de caprices subjectifs. Parmi les inégalités et les injustices les plus décriées on cite généralement : la corruption, l’inégalité des citoyens devant la justice, le favoritisme et le népotisme à caractères particularistes, l’arbitraire dans la gestion des personnels civil et militaire de l’Etat (recrutement ; promotions, nominations), l’anarchie et le désordre qui profitent exclusivement à une minorité bien identifiée. Il s’ajoute à ces facteurs d’autres plus subjectifs mais pleinement exploités à l’heure actuelle dans certaines sociétés occidentales telles que les peurs et angoisses collectives : islamophobie, immigration…etc.
Principaux traits distinctifs du populisme
Le populisme est toujours porté par trois vecteurs essentiels : Un leader, un discours et un mode opératoire. Un leader. C’est un homme qui se présente comme le justicier. Il arrive à se forger l’image de l’homme providentiel, en parvenant à créer un lien « magique » avec son peuple. Peu importe qu’il soit honnête ou hypocrite et peu importe qu’il soit irréprochable ou inconséquent, l’essentiel pour lui est de susciter l’émotion parmi les foules et d’inculquer dans les esprits l’intime conviction dans sa capacité de répondre à leurs aspirations et à leurs attentes. En Equateur, par exemple, M. Abdala Bucaram qui, entouré des hommes les plus riches du pays, proposait un « gouvernement des pauvres » ; Berlusconi, en Italie, exerce encore une réelle fascination en dépit des controverses que suscite sa personne. Un discours. Le discours populiste ne s’embarrasse ni de programme élaboré ni d’une doctrine idéologique, fut-elle, sommaire. Un vocabulaire et des formules simples exprimés avec spontanéité. « Pour séduire, il faut réduire. »(3) l’efficacité de cette règle de communication n’est plus à démontrer surtout lorsqu’il s’agit de s’adresser directement aux « masses » dans l’ intention de toucher leurs fibres sensibles. « L’appel populiste s’adresse à tout le peuple, à tous ceux qui subissent, en silence, les injustices et la misère. Il y a dans cet appel l’invocation des grandes actions collectives et des valeurs partagées. C’est là sa force émotionnelle et sa composante rationnelle. C’est de cette mixture que surgit sa puissance ». (4) Il est crucial que ce discours se crée nécessairement une victime expiatoire, un bouc émissaire, en quelque sorte, qui doit endosser la responsabilité collective de toutes les misères ou de toutes les phobies ressenties par un peuple. En Europe, les cibles du moment semblent s’orienter surtout vers l’Islam et l’immigration. En Amérique latine, on s’attaque plutôt aux prédateurs, auteurs des malversations, oppresseurs du peuple et aux cartels de la drogue….etc. Mode opératoire. On place, d’emblée, le peuple dans la position de victime aux droits jusqu’ici spoliés ; droits pour lesquels une réparation est promise, sans exigence de devoir ni d’aucune autre forme de contrepartie. Les réparations promises comportent également les mesures punitives assouvissant un désir de revanche et/ou de vengeance largement partagé. Par opposition à la démocratie représentative les populistes prônent une relation plus directe, "rendant le pouvoir au peuple". De là découle la tendance à conserver un rapport direct avec le peuple. De là découle aussi l’idée que le leader reçoit ses pouvoirs du peuple de manière immédiate (sans passer par des entités intermédiaires de nature « abstraite » comme le système représentatif, les institutions, les pouvoirs politiques et les structures traditionnelles). Nous citons, ci-dessous, quelques-unes des conséquences de cette conception. Ainsi, toutes les structures relais se trouvent, de facto, marginalisées et sacrifiées pour ne laisser place qu’à deux entités : le Leader et le peuple. L’impatience vis-à-vis de la politique, des organisations et des hommes politiques est l’un des traits symptomatiques du populisme ; les règles de la politique étant présentées comme le résultat « d’accords malhonnêtes » (5) et de « complots des politiciens ». Plus grave encore est le sort réservé aux institutions de l’Etat perçues comme des obstacles qui éloignent le chef du peuple. Le leader a sans cesse besoin de cultiver l’image selon laquelle il fait partie du peuple, qu’il ne répond qu’au peuple et ne reçoit son orientation politique que du peuple, lui-même. Cela suppose qu’il doit renvoyer au peuple ses propres humeurs, ses lieux communs et ses préjugés. Ainsi nait l’impression, efficace sur le plan électoral, qu’il (le peuple) devient le véritable inspirateur des idées et des discours de son leader. A cet effet, une stratégie médiatique est déployée pour rendre ce dernier toujours visible par des apparitions télévisuelles par de fréquentes visites de terrain.
Portée et limites du populisme
L’irruption du populisme dans la scène politique est toujours accueillie avec dérision par l’élite, car il bouscule l’ordre établi. La classe politique et l’élite contre lesquelles il s’insurge sont généralement prises de court et s’abstiennent souvent de faire une analyse en profondeur du phénomène. Pour le qualifier, on se contente très souvent d’opter pour des raccourcis qui ne sortent guère de la sphère des clichés péjoratifs et des formules stéréotypées.. On l’assimile souvent à de la démagogie et à de l’opportunisme électoralistes. Ce qui évidemment éloigne un peu trop d’une lecture distanciée du phonème et occulte, forcément, les causes qui l’enfantent. Comme on l’a évoqué, plus haut, l’avènement du populisme répond, d’abord, à une demande de changement dans une situation sociale profondément dégradée. Son objectif déclaré est de créer un ordre social plus juste. Dans les faits, l’histoire du populisme montre qu’il s’agit « surtout d’un phénomène de transition, éruptif et presque éphémère, qui se développe au sein d’une crise généralisée et d’un statu quo politico-social insoutenable pour les majorités ». (6) « Lorsqu’il ne devient pas routinier, comme ce fut le cas, avec Napoléon III, en France ou, avec Perón, en Argentine, le populisme constitue un phénomène éphémère qui se conclut par un retour à l’ordre établi ¬ qu’on songe, par exemple, aux intermèdes boulangiste ou poujadiste en France. » (7) Le populisme ne conduit donc pas à un changement définitif de société. Tout juste arrive-t-il à introduire des ajustements opportuns, en remettant en cause le statu quo antérieur dans sa quête pour un nouvel équilibre social et politique. Mais l’anticonformisme qu’il érige, en méthode d’action, occasionne des dégâts considérables pour les institutions des pays et pour les règles de bon fonctionnement des états. Le populisme constitue, dans son essence, un phénomène de transition, par métamorphose ou par rupture, vers une forme de pouvoir plus conventionnelle. Les meilleurs exemples historiques méritent à ce stade d’être cités : Le Président Lula du Brésil qui a bénéficie de l’effet populiste pour accéder au pouvoir mais qui a très vite opté pour une politique réaliste bénéficiant de l’apport des compétences intellectuelles du pays et de l’appui des institutions financières internationales. Les résultats obtenus par le Brésil sont unanimement appréciés dans tous les domaines. Le second exemple est celui du « Président des pauvres » Jean Bertrand Aristide en Haïti qui, accusé de malversations, quitta précipitamment son pays suite a un coup d’état. Les détracteurs du populisme fondent leurs critiques sur le danger majeur d’une évolution vers la dictature. On observe, en effet, qu’il s’agit d’un danger réel sans pour autant être inéluctable. D’autres analystes considèrent qu’il correspond à une exigence ¬ pour davantage de démocratie et qu’il pourrait même constituer l’une des formes de la transition démocratique. Aucune de ces alternatives- dictature ou démocratie- n’est dictée par la fatalité. L’évolution vers l’une ou l’autre de ces éventualités et la forme que prendra cette évolution dépendent, avec l’aide d’ALLAH, des conditions propres à chaque pays. Elle dépend, en particulier, de l’aptitude du leader à s’adapter pour faire face aux exigences d’un retour à la normalité. Elle dépend aussi de la capacité de la classe politique à mieux comprendre cette phase particulière de l’histoire politique d’un pays pour définir, sans passions et sans préjugés, une stratégie de sortie de crise pertinente. Elle dépend enfin de la maturité de tous pour éviter les dérapages, en préservant la souveraineté, l’unité et la cohésion nationale contre toutes les dérives qui peuvent les menacer. Plus concrètement, en revenant à la situation qui prévaut dans notre pays, situation marquée par l’existence d’un système politique répondant aux caractéristiques précédemment décrites, les deux options restent ouvertes. Il est à craindre que la crispation des rapports entre les acteurs politiques ne se radicalise avec comme effets de perpétuer des entêtements archaïques aux conséquences désastreuses. A contrario, il existe d’autres indices qui laissent espérer que toutes les parties prenantes de la vie politique fassent preuve de maturité pour trouver les solutions consensuelles permettant de construire une démocratie digne de respect.
Source: Taqadoumy |