L'édito de MFO |
(J’ai choisi de vous faire relire ce texte paru dans l’édition du 1er mars 2009, N°438. La paresse et le dépit passager y sont pour quelque chose) Quelqu’un me racontait l’histoire suivante : quand un mangeur de tortues tombe sur une belle tortue, il se dit, tout sourire, «yallali, j’ai trouvé une tortue que je vais bien assaisonner avant de la manger» ; quand il la transporte en la mettant sur sa tête, la tortue se dit toute joyeuse «enfin j’ai trouvé quelqu’un qui va me porter et sur la tête duquel je vais pisser». Je crois pouvoir utiliser cette histoire du terroir pour traduire le rapport entre l’élite intellectuelle mauritanienne et le gouvernant, n’importe lequel. Quand quelqu’un arrive au pouvoir – sans en avoir discuté au préalable avec qui que ce soit – il est vite porté par des «mangeurs de tortues» qui sont tout joyeux de trouver quelque chose à se mettre sous les dents. Sans savoir que très vite – parfois par paresse, parfois par incapacité – le «porté» finit par se trouver tout heureux de trouver des gens sur lesquels il va se décharger. Au propre et au figuré. Ça continue depuis le premier coup d’Etat, pour ne parler que des périodes militaires qui ont vu alliances et mésalliances entre militaires gouvernant et civils participant et légitimant. A chaque étape son lot de compromis, son art de la compromission. Jusqu’en 2005 (août), nous avons cru que nous avons tout expérimenté : le mensonge, la feinte, le faux, la duplicité, la vulgarité, le soutien, l’engagement sans discernement, la félonie… Au 4 août nous nous sentions libérés de l’obligation de courir après ceux qui dirigent et qui font miroiter des contreparties à ceux qui les soutiennent. Les nouveaux dirigeants ne voulaient pas rester et ne demandaient donc pas qu’on les soutienne. L’occasion de retrouver un peu de soi, de recouvrer un peu de dignité et de faire ses choix en toute liberté. Chassez le naturel, il revient au galop. Ceux qui ont soutenu celui qui devait être «le président élu», l’ont fait parce que les maîtres de la transition, donc du pays, le leur ont demandé. Aussi bien au premier tour qu’au second tour. Les justificatifs développés ici et là tentaient de cacher le seul motif qui vaille : servir pour être à l’ombre de celui qui a toutes les chances de diriger demain, servir pour bouffer un peu de «tortue» qu’on porte et qui fait le reste sur nos têtes. Le tout aux dépens de la Mauritanie qui s’appauvrit et pourrit de phase en phase. Il est malheureux de le dire mais toute la période allant du 3 août à nos jours n’a finalement servi qu’à «blanchir» les hommes d’une époque, à réhabiliter ses méthodes, à réinstaurer son mental et à perpétuer son hégémonie. Le changement qui avait été une demande largement exprimée lors de l’élection législative et municipale de novembre 2006, a été confisqué. Le peuple devait – doit - encore souffrir. Combien de temps ? On ne sait pas. Tout dépend de la compréhension de l’encadrement national – pouvoir, oppositions, société civile, hommes d’affaires, élites de toutes catégories…- tout dépend de la capacité de comprendre le caractère inéluctable du changement. Soit l’élite d’aujourd’hui accepte d’anticiper et de mettre en œuvre un projet qui assure la refondation de l’Etat, de la démocratie, sur des bases plus fortes, plus impersonnelles, plus justes, plus égalitaires, plus porteuses pour le projet citoyen. Elle acceptera alors de faire la rupture en se démettant, en demandant pardon pour tous ses manquements, en s’excusant d’être là et en assumant ; ou encore en acceptant le principe de sa «péremption». Dans ce cas le changement se fera avec douceur, sans heurts et sans pleurs. Soit l’élite s’entête à croire que les mêmes réflexes continuent de rapporter, elle sera balayée par la dynamique déjà en marche. Ce changement qui apportera la rupture totale, comportera peut-être des risques pour le pays et pour le tissu social. Mais si le corps politique et social refuse de s’adapter, il faut souhaiter ce risque au plus vite. Plus la situation perdure comme elle est, plus elle pourrit, plus elle est porteuse de germes de déconfiture. Aujourd’hui, la question n’est pas seulement de savoir comment sortir de la crise en redistribuant les cartes, en partageant le pouvoir par une entente entre les différentes «factions» politiques, entre les différents «mangeurs de tortues». C’est aussi et surtout en dessinant un avenir apportant le changement qui ne peut qu’être la rupture d’avec le passé. Tout le passé. Sa philosophie, ses méthodes, ses hommes… Regardons autour de nous. Regardons ceux qui occupent notre espace politique, ceux qui refusent au pays d’avancer en alimentant des querelles qui trouvent leur source dans la concurrence autour des privilèges liés à l’exercice du pouvoir. N’est-ce pas les mêmes d’il y a dix ans, vingt ans, trente ans ? il y en a même qui nous viennent de plus loin. Quand vous discutez avec eux, vous vous rendez facilement compte qu’ils traînent avec eux tous leurs ressentiments des décennies passées, toutes leurs animosités et finalement toutes les tares. Ils ne peuvent plus produire de vision d’avenir. L’avenir est derrière eux. Et c’est à voir si ces «mangeurs de tortues» peuvent encore exprimer une joie à porter une tortue qu’ils espèrent dépecer et qui, elle, est toute heureuse de leur pisser dessus. La Tribune N°552 du 06/06/11 |
Samedi, 11 Juin 2011 13:36 |