L'édito de MFO |
C’est une histoire que je raconte chaque fois que cela me paraît nécessaire. Il ne faut pas que ceux qui l’ont déjà lue (ou entendue) m’en veulent. C’est une histoire réelle qui enseigne quelques valeurs, et renseigne sur quelques comportements des Mauritaniens d’avant. L’un des Emirs, connu pour sa force et son autorité, avait reçu la visite d’un marabout qui venait de loin pour lui dire combien le fait de subir son autorité l’enthousiasmait et l’honorait. Il venait lui dire aussi qu’il avait laissé, loin dans le désert, quelques femmes qui n’avaient d’autre soutien que lui. Qu’il avait besoin, entre autres, et sous forme de prêt, de quelques pièces de ces tissus que l’Emir recevait en présents de la part des nçara (les colons). Pour compléter sa ghayba (voyage lucratif), il devait nécessairement rapporter de quoi couvrir la nudité de ses protégées. Qu’en contrepartie de deux pièces, il s’engageait à ramener, l’année prochaine, cinq belles bêtes de deux ans au maximum, cinq belles «pousses» prêtes à donner… L’Emir ne put résister aux belles paroles, surtout qu’elles étaient accompagnées de promesses fermes. Il donna les pièces de tissus au marabout venu de loin. Trois hivernages passèrent, jamais le marabout ne fit signe. Un jour, quelqu’un vint annoncer qu’il avait quitté la famille «Ehl…» dans la matinée. «La famille Ehl…, est-ce le même nom que celui du marabout qui me doit cinq belles chamelles ?» On répondit à l’Emir que c’était bien de cette famille qu’il s’agissait et que le marabout indélicat était là-bas. L’Emir ordonna à quinze de ses meilleurs cavaliers de se mettre en ordre autour de lui avant de prendre le chemin indiqué pour arriver aux tentes du marabout. En ordre de combat, l’Emir et ses hommes se présentèrent devant la plus grande tente du petit campement. «C’est bien ici chez Ehl… ?» C’était bien ici. Et le marabout sortit de sous la tente toujours enchanté de voir l’autorité de l’Emir s’exercer, toujours heureux de faire partie des sujets de l’Emir. «Où sont mes chamelles qui doivent aujourd’hui avoir fait des chamelons ?» questionna violemment l’Emir sans perdre de temps dans les salamalecs. «Quelles chamelles ?» répondit la faible voix du marabout. Et l’Emir de lui rappeler ses engagements et sa dette. Mais le marabout ne retrouvait pas la mémoire et trouvait que «même si cela était vrai, l’Emir n’avait plus droit à ce qu’il prétendait». Quelques moments d’énervement et l’Emir décida : «Allons voir le Cadi, on m’a dit qu’il n’est pas loin d’ici». Le marabout refusa d’être pris à califourchon par l’un des cavaliers. Il prit son chapelet d’une main et une bouilloire de l’autre, fit joindre les pans de son boubou autour de sa taille et se mit à marcher après les cavaliers. Les chevaux ne pouvaient souffrir le rythme du vieux marabout qui ne pouvait les accompagner dans leur course. Au bout d’un moment, on vit l’Emir lâcher son cheval dans la direction du marabout, on l’entendit charger et on crut au pire. L’Emir laissa se dissiper le nuage de poussière soulevé par la course du cheval et dit au marabout : «reviens chez toi, si on nous voyait comme ça, on dirait certainement que c’est moi qui ai tort». Deux enseignements à tirer pour les «nomades modernes». Le premier est que l’Emir, quelque soit sa force et sa violence, ne pouvait penser un instant à se faire justice lui-même. Il s’obligea à revenir au Cadi pour recouvrer ses droits. Il n’était pas non plus sûr que le Cadi allait lui donner raison parce qu’il pouvait être trompé par les apparences. Les apparences – et c’est le deuxième enseignement – donnent toujours le puissant, celui qui a l’autorité et qui peut l’exercer, celui-là est toujours donné comme «fautif». Ceux qui doivent juger – ou apprécier – la chose, ne pourront jamais croire que le puissant et autoritaire Emir pouvait subir l’arbitraire du vieux marabout. Et d’en conclure que l’autorité a toujours tort… même quand elle n’a pas tort… source: La Tribune N°553 DU 13 JUIN 2011 |
Dimanche, 12 Juin 2011 20:51 |